Intervention de Son Excellence Monsieur Bernard Emié, Ambassadeur de France en Turquie Pour l’inauguration des premières « rencontres d’archéologie » à l’IFEA
Istanbul, Hôtel-Restaurant CEZAYIR
Jeudi 11 novembre 2010 à 13h

Intervention
de Son Excellence Monsieur Bernard Emié,
Ambassadeur de France en Turquie

 

Pour l’inauguration des premières « rencontres d’archéologie » à l’IFEA

 

Istanbul, Hôtel-Restaurant CEZAYIR
Jeudi 11 novembre 2010 à 13h30

 

 

 

Madame la Directrice de l’IFEA,

Je suis heureux de me trouver avec vous pour l’inauguration de cette première édition du rendez-vous désormais annuel de l’archéologie française à l’Institut Français d’Etudes Anatoliennes.

Cette initiative dont je félicite la Directrice de l’IFEA est un véritable retour aux sources pour une institution à laquelle vous êtes attachés et qui fête cette année ses 80 ans. En effet, à sa création en 1930, l’IFEA était vouée exclusivement à l’archéologie et a eu comme premiers directeurs d’illustres archéologues, dont Albert Gabriel, Louis Robert ou Georges le Rider.

Ce rappel est d’autant plus essentiel quand on pense à la place éminente que l’archéologie a occupé et devrait continuer d’occuper dans notre relation culturelle bilatérale avec la Turquie, par son histoire comme par son actualité mais également du fait de sa sensibilité politique.

En se penchant sur les fondements les plus anciens de nos sociétés et de notre histoire, l’archéologie évolue dans un terrain politiquement hautement sensible. Elle est de ce fait à bien des égards encore plus dépendant des malentendus de tout ordre qui peuvent surgir parfois entre la France et la Turquie. Mais ce qui devrait le rendre solide et le protéger en retour, c‘est l’excellence de votre activité, de vos recherches scientifiques, de vos résultats, et la pérennité des réseaux que vous entretenez avec vos collègues turcs et leurs institutions. La richesse de ces collaborations et des partenariats que vous développez devrait nous permettre précisément de dépasser les différents et de fortifier l’amitié franco-turque.

Pourtant tel ne me semble malheureusement pas être le cas actuellement. Nous avons ensemble une pente à remonter et des défis difficiles à relever.

Je souhaite vous dire que l’archéologie française est l’une des priorités de mon action en Turquie, mais sa situation, notamment depuis ces dernières années, est peu satisfaisante à mes yeux. Cette préoccupation est d’ailleurs entièrement partagée par le Ministre turc de la Culture, M. Ertugrul Günay, que je viens de rencontrer longuement à ce sujet à Ankara avec ses collaborateurs directs, il y a deux jours et qui m’a fait passer des messages on ne peut plus clairs.

 

Telles sont les raisons pour lesquelles j’ai souhaité remettre à plat le dossier des fouilles françaises en Turquie. J’ai été amené à faire des propositions visant à replacer le Service de Coopération et d’Action Culturelle de l’Ambassade et l’IFEA au cœur de notre dispositif archéologique dans ce pays.

De mon point de vue, il ne s’agit nullement de mettre en place un contrôle tatillon ou d’instaurer une quelconque centralisation mais au contraire de redonner une ligne directrice, un sens à nos actions, et de mieux les valoriser auprès du public mais surtout des autorités turques qui n’en sont pas satisfaites. Il nous faut définir des priorités claires en fonctions de critères précis, en évitant une trop grande dispersion des moyens de plus en plus réduits dont nous disposons. Il s’agit également de mieux vous aider dans vos démarches administratives, vos relations avec l’administration centrale turque et vos partenaires locaux, ainsi que dans la promotion du travail de recherche que vous accomplissez, dans les conditions difficiles qui sont les vôtres et que je n’ignore pas.

Cette réaffirmation du rôle des services culturels et de la vocation archéologique de l’IFEA m’a semblé être en outre la meilleure réponse à apporter aux nouvelles et strictes contraintes formulées par les autorités turques, concernant notamment la durée effective de votre présence sur le terrain, la désignation systématique d’un co-directeur turc, la recherche de co-financements et surtout la valorisation de vos sites de fouilles sur les plans non seulement scientifique mais également culturel, touristique et économique. Et le Ministre turc m’a rappelé encore avant hier de la manière la plus claire possible combien ces aspects de votre travail sont essentiels à ses yeux et ceux de son administration et combien ses consignes à ses yeux étaient peu suivies d’effet de la part de nos archéologues.  Et il en tirerait les conséquences.

Or, ce respect des consignes, Mesdames et Messieurs, notre conduite sur le terrain et les moyens que nous mettrons en œuvre conditionneront désormais expressément la délivrance de vos autorisations et le renouvellement de vos permis. Déjà plusieurs fouilles étrangères et même turques, majeures mais non suffisamment valorisées au regard des autorités locales, ont été suspendues ou le seront dans les prochains jours.

Nous devons donc impérativement nous plier à ces nouvelles exigences si nous souhaitons maintenir une présence dans ce pays, même si ses contraintes peuvent nous paraître parfois dures. Comme toute discipline scientifique, l’archéologie en Turquie est devenue le champ d’une compétition internationale sévère, avec à la clef des incidences fortes en matière d’influence, de formation supérieure et de promotion d’un savoir-faire qui nous est toujours reconnu. Plusieurs pays réussissent parfaitement. Il n’y a aucune raison que le nôtre n’y parvienne pas.

Pour compléter notre nouveau dispositif local de coopération archéologique et asseoir un la légitimité de l’IFEA, j’ai préconisé, en accord avec le Ministère des Affaires étrangères et le Conseil scientifique du pôle TRIAC (Turquie / Russie / Iran / Asie Centrale), que le poste de pensionnaire en archéologie soit maintenu à l’Institut malgré un plafonnement drastique de nos emplois, et que son profil et sa mission soient reprécisés. Cette nouvelle mission, assurée par Olivier Henry que vous connaissez tous, consistera essentiellement à exercer une fonction de véritable chargé de mission archéologique, sous l’autorité hiérarchique du Conseiller de Coopération et d’Action culturelle et de la Directrice de l’IFEA. Son travail sera de faciliter le vôtre et de nous informer de tout. Il faudra pour cela l’informer en direct de tous vos projets et de vos problèmes. Dans le cas contraire, nous ne pourrons plus rien faire pour vous.

 

Outre ses missions de recherche et d’animation scientifique, ce chargé de mission travaillera étroitement avec les partenaires institutionnels turcs, en particulier la Direction générale des Antiquités et du Patrimoine du Ministère de la Culture et du Tourisme, et avec les archéologues français en Turquie vis-à-vis desquels il assurera une fonction de relais, ainsi qu’avec la Commission des fouilles en France.

Vous disposerez ainsi sur place, d’un relais et d’un soutien plus efficaces, que vous pourrez solliciter en tant que de besoin pour le traitement des demandes d’autorisation de fouilles, pour les démarches administratives liées à l’élaboration et à la réalisation de projets, l’identification de co-directeurs turcs ou les dernières évolutions de la législation locale

En échange, il vous incombera de nous tenir mieux informés de vos activités et de déposer systématiquement copie à l’IFEA de la documentation établie au cours de votre mission afin d’enrichir sa médiathèque archéologique. L’Institut vous aidera aussi à mieux promouvoir vos travaux en Turquie, dans la langue du pays, ce qui est fondamental et qui nous est demandé, et à rendre plus visibles vos résultats sur place.

En ma qualité de garant des intérêts français en Turquie et de la bonne utilisation des fonds publics d’aide et de coopération qui sont en repli constants, il est de mon devoir de veiller à ce que vos activités servent non seulement le progrès de la connaissance de l’histoire des civilisations de cette région du monde particulièrement riche mais aussi les relations culturelles, scientifiques et politiques entre la France et la Turquie, dans le respect de la législation locale et des souhaits de la partie turque qui nous accueille sur son sol. J’accorde une importance toute particulière à ce dernier point et compte sur vous pour m’aider à professionnaliser et améliorer l’image de marque d’une archéologie française singulièrement écornée au cours de ces dernières années. Nous devons  effectuer des choix stratégiques et  nous  y tenir.

Nous sommes là, Mesdames et Messieurs, pour vous aider dans vos efforts, à redonner l’importance qu’elle mérite à la recherche archéologique au sein de l’IFEA, à réussir votre mission en Turquie et à faire en sorte de valoriser dans ce pays une expertise française ancienne et reconnue que beaucoup nous envient et dont vous portez l’héritage.

Je vous remercie d’avoir accepté notre invitation à participer à cette importante manifestation et souhaite plein succès à vos travaux, en espérant qu’ils débouchent sur une prise de conscience collective des difficultés que nous traversons mais aussi sur des propositions concrètes en ayant à l’esprit l’ensemble des ambitions mais aussi des contraintes que je viens de rappeler.

Je vous remercie./.