A lire, dans le quotidien Cumhuriyet l’éditorial d’Özgen ACAR (‘Kavşak’) consacré à la question du trafic international d’œuvres culturelles (en pleine expansion sur fond de crise économique), de leurs répercussions sur les relations internationales, de l’importance de la sensibilisation de la population et du rôle joué par les institutions telles que l’UNESCO, du besoin de dialogue entre les pays concernés, au-delà de la convention de 1970 qui visait à mettre à plat le droit international en terme de restitution d’œuvres.
"Il est trois domaines qui ne souffrent pas de la crise économique : les trafics d’arme, de drogue et d’œuvres culturelles", c’est ainsi que débute le dernier éditorial (27/11/2012, en turc) d’Özgen Acar sur lequel nous rebondissons. La Turquie, dont l’héritage culturel est proverbial, souffre particulièrement de ce dernier type de trafic. Au durcissement de l’arsenal répressif, s’ajoute la multiplication de demandes de restitutions, de la part des autorités turques, d’œuvres aujourd’hui exposées dans divers musées internationaux. Ces requêtes sont à l’origine de nombreuses tensions dont les répercussions se font sentir à tous les niveaux de la coopération internationale.
L’approche de tels dossiers est complexe et nécessite une vraie réflexion, à deux volets. Le premier, international, concerne la restitution d’œuvres importées avant la convention de l’UNESCO de 1970 ; le second touche à la gestion des activités illégales au niveau national.
En effet, si les règles de droit au niveau international sont aujourd’hui assez bien respectées, et les restitutions nombreuses, pour tout objet douteux ayant été acquis par telle ou telle institution après l’entrée en vigueur de la convention de 1970 (ratifiée par la Turquie en 1981), nombreux sont encore les dossiers sources de polémiques. L’article 15 de la convention de 1970, qui précise que "Rien, dans la présente Convention, n'empêche les États qui y sont parties de conclure entre eux des accords particuliers ou de poursuivre la mise à exécution des accords déjà conclus concernant la restitution de biens culturels sortis de leur territoire d'origine, pour quelque raison que ce soit, avant l'entrée en vigueur de la présente Convention pour les États intéressés", souligne le statut relativement flou des biens exportés avant l’entrée en vigueur de la convention. Dans ce cas précis, les négociations se font souvent au cas par cas, lors d’une négociation bilatérale entre États, au cours de laquelle s’opposent souvent des cadres juridiques nationaux différents, voire opposés, entre pays ‘riches’ aux musées bien achalandés et pays ‘émergents’ ou appartenant aux grandes économies en développement revendiquant le retour de leurs biens culturels. S’il existe aujourd’hui des conventions internationales visant à renforcer le texte initial de 1970 (Unidroit), ils ne traitent cependant pas des dossiers antérieurs à cette date. Il est rare qu’une discussion sereine, nécessaire à la résolution de tels dossiers, puisse être mise en place et les médias, dont le rôle n’est pas négligeable, attisent souvent les braises sur un dialogue fragile et délicat. L’exemple récent de la restitution par l’Allemagne du Sphinx de Boğazköy prouve cependant que des accords bilatéraux peuvent intervenir, même s’ils restent rares. Ce cas précis n’est pas cependant sans soulever un certain nombre de questions tant sur les modalités et les conditions de la signature de cet accord que sur son instrumentalisation par les pays concernés. Quoi qu’il en soit, ce dossier révèle la nécessité d’une médiation que le Comité intergouvernemental pour la promotion du retour de biens culturels à leur pays d'origine ou de leur restitution en cas d'appropriation illégale (créé en 1978, indépendant de la convention de 1970 mais visant à la compléter) peut difficilement complètement assumer du fait de sa fonction essentiellement consultative. À cet égard, la conclusion de la présentation générale de la Convention Unidroit, dont nous donnons l’extrait ci-dessous, résonne comme un constat de l’impuissance des accords internationaux s’ils ne sont pas accompagnés du dialogue et de la bonne volonté des parties prenantes, conditions sans lesquelles les relations bilatérales risquent de demeurer heurtées.
Le texte de la Convention d’UNIDROIT est le résultat d'un compromis, et comme tout compromis, il ne satisfait pas pleinement les préoccupations de chacun, mais un examen attentif de la Convention montre qu'aucune partie concernée par la Convention ne devra en pâtir de façon injuste. Cette Convention traduit des efforts véritables déployés par des juristes pour combiner justice et réalisme et pour essayer autant que faire se peut, d'établir une base pour les années à venir. L'expérience prouve cependant qu'il est une chose d'adopter une Convention internationale, et une autre de garantir son application effective. Il faudra donc maintenant répondre aux inquiétudes légitimes de certains, mais il serait dramatique que cet effort ne fût pas compris par ceux qui s'intéressent au patrimoine ou ont des responsabilités de conservation et de protection des biens culturels.
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La rubrique Kavşak d'Özgen Acar dans le quotidien Cumhuriyet