IFEA a 80 ans – Hürriyet

Article de Hadi Uluengin dans Hürriyet du 16 octobre 2010
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Institut Français d’Etudes Anatoliennes.

Certes, je vous l’accorde, personne ne naît en parlant couramment le français.

C’est pourquoi je m’empresse de traduire : “Fransız Anadolu Araştırmaları Enstitüsü” !

Cependant, cela ne fait aucun doute, certains puristes de la langue turque demanderont que soit proposé un autre terme en remplacement du mot “enstitü”. Qu’à cela ne tienne, même si ce n’est pas mon avis ! Somme toute, dans la mesure où il ne s’agit pas de discuter du sexe des anges, peu importe le terme choisi. Ceux qui se livreront à un tel exercice ont toute ma considération, et je n’ai rien à ajouter !

Je m’explique donc : cet institut, dont on abrège le nom, conformément à l’usage dans la langue de Molière, par le sigle “IFEA”, est une institution de recherche et de culture qui conduit diverses activités au sein de notre ville et porte le label “français”.

Je peux même, en usant d’un registre un peu plus pathétique [en y mettant un peu plus de pathos], parler d’un “foyer des sciences et des connaissances”. Du reste, cet institut a quasiment l’âge de notre République ! Il a d’ailleurs, indirectement, partie liée avec sa formation idéologique.

En effet, on a en définitive, en vis-à-vis, d’un côté la patrie de la Révolution française, de l’autre une jeune nation conçue par un leader “éclairé”, qui annotait en rouge les ouvrages – qu’il lisait dans leur langue d’origine – de Voltaire !

A ce titre, les travaux qu’un nombre important de scientifiques ont réalisés sur la Turquie à l’IFEA dans tous les domaines, depuis ceux du grand ethnolinguiste et ancien professeur d’histoire des religions à l’université d’Istanbul, Georges Dumézil, à ceux du spécialiste d’archéologie hittite Emmanuel Laroche, s’ils ont pu être sujets à critique, ont montré la voie à notre République, engagée corps et âme dans la construction d’un Etat-Nation. Ils ont même, en partie, consolidé les recherches sur l’”Anatolisme”.

Ma foi, critiquons un peu nous aussi, et comparons le phénomène que nous venons d’évoquer  à la diffusion par l’ambassade française à Galata, peu de temps après la Révolution, de la déclaration en turc “Liberté, égalité, fraternité”, ou bien encore à l’exhortation des ottomans à “faire leurs (assimiler) les idées progressistes” par l’ambassadeur révolutionnaire Raymond de Verninac  dans le ”Bulletin des Nouvelles”.

Quoi qu’il en soit, cet institut qui, même lorsque des pommes de discorde venaient à troubler les relations entre les deux pays, a passé outre les aléas de la politique et maintenu sans interruption ses activités de recherche, fête maintenant ses 80 ans.

C’est un bel âge, 80 ans, et c’est bien en l’honneur de cet anniversaire-là que j’ai pris ma plume. D’ailleurs, si tout va bien, je me rendrai à ce cocktail organisé par la belle de Teşvikiye, Nora Şeni (la séduisante/charmante Nora Şeni, originaire de Teşvikiye), la professeure qui dirige l’Institut, et par le Consul à Istanbul Hervé Magro qui, pour avoir grandi à Ankara, parle un turc parfait.

Espérons que le Consulat consentira à ouvrir quelques bouteilles de ses meilleurs crus de Bordeaux. Et surtout, espérons qu’il ne pleuve pas ce jour-là, afin que nous puissions lever nos coupes remplies de ce nectar d’éternité dans les célèbres et magnifiques jardins du Palais de France, qui rappellent ceux des Tuileries, sur la rue Nuri Ziya.

Plus sérieusement, parallèlement au développement de notre pays, l’IFEA se surpasse chaque année, rivalisant désormais avec les meilleures institutions académiques de notre ville.
Ah, si seulement ce cher Stéphane Yerasimos, ancien directeur de l’Institut, homme de bien, savant parmi les savants, authentique “osmanlı” et anthentique “rum”, avait pu vivre suffisamment longtemps pour voir son rêve réalisé ! En effet, couvrant mille et un domaines, de l’archéologie antique à l’histoire contemporaine, de l’urbanisme à la cartographie maritime, de la diffusion bilingue à l’expertise politique, l’IFEA organise, à une échelle encyclopédique (?), des séminaires, conférences, ateliers, événements, expositions, sorties urbaines, tout en mettant à la disposition du public une bibliothèque exceptionnellement riche. L’institut est aujourd’hui reconnu comme une institution de référence en Turquie, mais aussi, au-delà du monde francophone qu’il a réussi à dépasser, au sein des milieux académiques du monde entier.
Enfin, en proposant des prix dans les domaines de l’archéologie et des sciences sociales, et en offrant des bourses aux chercheurs, l’IFEA se place dans une telle excellence institutionnelle que l’on ne peut que, comme on dit en français, “tirer son chapeau” à cet “Institut Français d’Etudes Anatoliennes”.