J’ai commencé à travailler sur les gares en maîtrise de sociologie urbaine : je débutais alors une réflexion sur les définitions de ce lieu. Or, si l’on tient compte des écrits scientifiques, des discours, des pratiques des aménageurs et transporteurs, on s’aperçoit assez vite qu’il existe une définition presque unanime : la gare est avant tout un lieu-mouvement, pour être ensuite définie comme pôle d’échange, comme espace multifonctionnel.
Ce qui est primordial pour les gestionnaires et les aménageurs de la gare, c’est la fluidité des divers mouvements générés par la gare et les multiples moyens de transport qu’elle accueille. C’est en fait donner une très large place à tout ce qui concerne la fonctionnalité du lieu. Ce qui importe avant tout aux divers aménageurs, c’est de gérer au mieux les flux d’usagers, les origines et destinations de ces flux, et faire en sorte que la gare et les divers types de transport qui lui sont liés soient adaptés à une gestion claire et efficace de ceux que l’on désigne comme “ pendulaires ”.
Mais si le discours semble explicite, force est de constater que les définitions de la gare sont complexes, même pour ses gestionnaires : il n’est qu’à voir la naissance, en 1996, à la SNCF d’une Direction du Développement des Gares pour traiter les nombreux problèmes que pose cet espace “ multifonctionnel ”, à la croisée de nombreuses logiques.
Par ailleurs la gare, lieu de la complexité et de la modernité des modes de transport et des aménagements conséquents, est traversée de toutes parts de mouvements, de déplacements divers qui débordent de ce lieu, pour aller irriguer les quartiers proches, la ville. C’est aussi un lieu où la halte, l’attente, l’immobilité sont possibles, où apparaissent, sous le regard du chercheur, des co-présences durables ou ponctuelles de populations différentes. Les gares sont donc des espaces complexes, où s’articulent de manière originale mobilités et sédentarités.
Ce n’est donc pas du haut des politiques “ managériales ”, qui inscrivent des limites aussi bien historiques, géographiques, symboliques qu’administratives, traduites par les formes du bâti, que l’on doit aborder la gare, mais par une démarche anthropologique. Celle-ci s’avère nécessaire pour restituer aux individus et aux groupes leur place dans l’analyse de ces espaces. Ces individus et ces groupes exposent en effet des contours ; ils suggèrent des processus plus complexes que les typologies parfois réductrices des acteurs responsables de l’aménagement et de la gestion de ces lieux. Ce type d’approche donne toute son ampleur à un empirisme qui s’avère alors “ irréductible ” (Schwartz) comme l’ont montré les diverses recherches présentées au cours de cette École Doctorale.
Les approches sociologiques et anthropologiques permettent donc, par rapport au sujet étudié, de mettre en lumière les usages de ce lieu en élucidant la diversité des échanges. En effet, avec la gare se pose la difficulté de définir un “ lieu-mouvement ”, un lieu fixe dédié à toutes sortes de mobilités, à la fois lieu d’arrêts, d’échanges, de croisements d’individus ou groupes aux pratiques diverses, “ temple de la modernité ” par la maîtrise de la vitesse et la conjonction de plusieurs moyens de transport.
Aborder la gare, c’est aussi un défi en regard des méthodes de l’anthropologie urbaine. En quelques points :
- Prendre la gare comme objet de recherche, c’est privilégier les analyses transversales et non s’attarder uniquement sur un champ d’analyse spécifique.
- C’est aussi dépasser le thème célèbre du “ village urbain ” que les tenants de l’École de Chicago ont largement développé, pour concevoir la gare comme un “ morceau de ville ”, ouvert de toutes parts à des usages, pratiques diverses, largement travaillé, rythmé et recomposé par des mobilités et sédentarités remettant en cause un certain “ localisme ”. Il y a imbrication des échelles territoriales, débordements dans et sur la ville médiatisés par des divers transports présents dans et aux alentours de la gare.
- Enfin, rapidement, même si il faut tenir compte de ce qui se trame dans cet espace public qu’est la gare en s’intéressant aux problèmes de la vie quotidienne (Goffman) dans ce lieu, à l’ordre public et à sa logique interactionnelle, comme le font les recherches menées par I. Joseph et alii sur la gare du Nord notamment, la gare ne peut être définie uniquement par cette approche micro-écologique s’intéressant aux notions d’“ espace public ”et d’“ accessibilité ”.
En effet, comme l’ont montré les observations empiriques sur divers terrains, s’intéresser à la gare, c’est aussi reconsidérer les jeux de proximités et de distances, leurs liens avec les techniques mises en place dans et aux abords des gares. Il s’agit alors de porter attention, à l’image de Simmel, à ce qui fait le “ liant ” entre individus, groupes et échanges : c’est l’entre-deux que Simmel met en valeur et qui concerne tant les usages de la gare.
Le travail de terrain
J’ai débuté ce travail à la gare Santa Maria Novella à Florence (Italie) durant ma maîtrise. À cette époque, mes recherches s’attachaient surtout à comprendre comment les acteurs de l’aménagement de ces lieux concevaient la gare. Et ce d’autant plus que ces dernières années, avec le développement et la diffusion des moyens de communication de masse, l’application des télématiques et l’avancée des technologies de transport, existe tout un discours politique et économique sur des lieux tels que la gare : dans ces discours, la gare, ou plus précisément ce pôle d’échange, ce “ point de réseau ” est présentée comme une structure forte de l’espace urbain, un point d’attraction et de rayonnement, un centre donc.
Il s’agissait alors pour moi de tenir compte de la situation culturelle (touristique), économique et géographique de Florence et de voir les rôles que jouait la gare dans cette ville et au-delà : quels déplacements engendre-t-elle ? Quels types de circulations la traversent pour déferler ensuite sur Florence et ses alentours ? Quels statuts a-t-elle dans la ville, c’est-à-dire quelles sont les représentations qu’elle draine dans les trajectoires des uns et des autres ? De quels rôles est-elle investie par les pouvoirs économiques et politiques quant à une gestion de ce que ces pouvoirs nomment communément des “ flux de circulation ” ?
Même si les premières approches sur le terrain montraient que la gare de Florence n’était pas qu’un haut lieu dédié aux mobilités des “ pendulaires ” mais qu’elle était, au contraire, un espace complexe dans lequel je pouvais observer qu’il existait des articulations originales entre mouvements et sédentarités, j’ai eu du mal à m’extraire des définitions explicites des acteurs responsables de l’aménagement et de la gestion de la gare, qui, comme écrit plus haut, marquent des limites d’ordre divers. Et même si, dans une démarche anthropologique, j’ai essayé de restituer au “ Génie Social ” (Sansot) sa place dans l’analyse de ces espaces, je suis quand même restée très dépendante de définitions plutôt réductrices de la gare et de la mobilité, à ce que les aménageurs et gestionnaires de ces lieux nomment “ flux ”, à ce qui finalement était plus visible, semblait plus simple ou plus clair au premier abord.
Cela dit, c’est peut-être en partant de ces définitions “ managériales ” de la gare, qu’une autre approche a été possible (une définition en creux), notamment en raccrochant la gare aux problématiques de la mobilité (Tarrius). Il est en effet tout aussi pertinent de s’intéresser à la gare comme espace de mobilité, en considérant par hypothèse les phénomènes de mobilités comme caractéristiques du mode de vie urbain.
Effectivement, il s’est avéré, en continuant les recherches en DEA sur les gares de Perpignan, Toulouse et Gare du Nord à Paris qu’il existait dans ces hauts lieux du mouvement, d’autres acteurs et groupes d’acteurs aux contours plus complexes et perméables que les typologies réductrices des acteurs de l’aménagement de ces lieux. Ces dernières, en effet, "invisibilisent" une part importante des pratiques de mobilités / sédentarités. Celles-ci, pourtant, subvertissent les frontières des lieux, les trajectoires des mobilités définies a priori par les acteurs de l’aménagement.
Et c’est en s’interrogeant “ sur la nature et la forme des échanges spatialisés, sur les modalités de structuration des territoires [territoires de, dans la gare et au-delà...] par les circulations, les flux d’hommes et de marchandises, sur les rapports entre groupes sociaux, professionnels ou non, et technique facilitant le déplacement ” (Tarrius) que le mouvement a pris un autre sens.
Il s’est agi donc d’aborder la mobilité (et donc la gare) non pas d’un point de vue uniquement spatial, mais d’en montrer ses multiples dimensions. En effet, les faits de mobilité spatiale laissent des traces et comme l’a écrit Alain Tarrius “ chaque mouvement de population dans l’espace est aussi mouvement dans les échelles de stratification sociale. Se mouvoir, c’est consommer symboliquement et factuellement du temps, de l’espace, c’est apercevoir les lieux de l’Autre, c’est manifester symptomatiquement ses places ; celle que l’on perçoit, celle que l’on désire, celle que l’on occupe ”.
Comment alors, d’un point de vue méthodologique, mettre en évidence ce langage des mobilités, c’est-à-dire quel mode de lecture adopter ?
C’est en prenant en considération les temps et les espaces que les sens des pratiques de mobilité s’éclairent. Il s’agit ici de prendre le temps comme une commodité méthodologique. Le temps a une épaisseur : il est social. Le temps associé aux pratiques des échanges spatialisés permet en fait une lecture des comportements des différents groupes, en étudiant de plus près leurs rythmes sociaux. Les mobilités prennent alors une densité plus forte (un sens plus complexe) dans la mesure où l’analyse de ces rythmes sociaux permet de définir des groupes identitaires (identités culturelles, professionnelles,...) et les territoires auxquels ils sont liés. En résumé, ces rythmes font apparaître des proximités sociales (le lien social définissant une identité s’avère donc primordial) c’est-à-dire des voisinages, des réseaux relationnels qui sont propices aux échanges (ce peut être des échanges de biens, de services, etc.), le tout créant des ensembles territoriaux, qui sont alors des constructions sociales, et formant des univers de références urbaines.
Je me suis donc attachée à voir comment étaient recomposés en proximité des espaces disjoints, éclatés par les logiques des différents programmes urbanistiques, ou du moins qui semblent comme tels de par les formes de l’urbain, bouleversant par là la conception des espaces locaux.
C’est donc à partir de cette manière d’aborder la gare et des articulations originales entre mobilités et sédentarités que la recherche en DEA s’est déroulée.
Je me suis attachée à l’étude de trois gares : il ne s’agissait évidemment pas de donner un plan d’ensemble du paysage de ces trois lieux mais de l’ordonner selon trois axes :
- La gare Matabiau, à Toulouse : quand j’ai démarré cette étude avaient lieu autour de la gare de grandes opérations d’aménagement, rénovations, constructions et démolitions : construction d’une immense médiathèque, construction tout à côté d’immeubles de standing, etc. Il me semblait donc intéressant de se pencher sur la manière dont la gare est sans arrêt témoin des transformations de la ville depuis la moitié du XIXe siècle, comment elle est très souvent (et de plus en plus ?) au centre de nouveaux développements urbains.
Effectivement, la gare et ce qu’elle suppose comme image forte de la modernité et du progrès, avec la mise en service de nouvelles technologies, la fonctionnalité et la clarté des espaces, l’efficacité, etc., représente depuis l’arrivée du chemin de fer dans les villes un enjeu de taille pour ces dernières, le chemin de fer devant jouer un rôle primordial dans leur évolution, la gare devant être la vitrine du progrès. Quelles répercussions (économiques, sur la structure sociale, sur la démographie, etc.) le chemin de fer et la gare ont-ils eu sur la ville, et vice-versa ? Quelles ont été les interactions ?
- la gare de Perpignan : elle me semblait intéressante par la position même de la ville en Catalogne, voire dans l’espace européen. C’est une ville très proche des frontières espagnoles, lui conférant en cela une place particulière. Cette position me permettait d’aborder les problématiques liées à la gare en envisageant les “ effets de frontières ”. Je pouvais donc envisager la complexité de la notion de frontière, d’autres univers de normes, d’usages, proches et lointains à la fois.
En fait, comment la gare de Perpignan et ceux qui la “ font ” (c’est-à-dire : ceux qui la traversent, l’occupent, la gèrent, …), au-delà des usages que l’on rencontre fréquemment dans ces lieux, peut-elle amener plus spécifiquement à une redéfinition des approches en termes de mobilité / sédentarité en relation avec les notions de frontières, de seuils, de limites, de passages (W. Benjamin) ?
La gare de Perpignan et les territoires qui l’environnent, de par sa position et les représentations qu’elle draine, est-elle un lieu ou, plus qu’ailleurs, arrive / repart / s’installe / disparaît l’Étranger, l’Autre qui, par sa mobilité / sédentarité traverse, subvertit les frontières, tant celles de la ville, qu’au-delà ?
- Enfin, la gare du Nord à Paris : je me suis demandée comment ce lieu de la complexité et de la modernité des modes de transport et des aménagements conséquents était aussi un espace de centralité sociale, de rencontres, “ d’irrigation ” des quartiers voisins ?
Cette gare était d’autant plus passionnante qu’elle accueille un trafic d’environ 540 000 voyageurs, ce qui en fait la troisième gare du monde et la première gare européenne : flux venant et allant dans de multiples directions (locales et régionales, nationales et internationales), irriguant les quartiers proches, la ville, mais aussi co-présences durables ou ponctuelles de populations différentes sur un même territoire.
Il s’agissait donc de s’intéresser aux rapports entre technologies (de transports, de communication…) et sociétés, et voir le jeu réflexif entre les deux, et non pas se contenter d’enregistrer les transformations dues aux techniques modernes. Je voulais aussi comprendre comment les groupes et individus se réapproprient les nouveaux moyens de transport : un grand voyageur rencontré à la gare du Nord nous dira que chaque nouvelle ligne (train, métro, etc.) mise en fonction était pour lui “comme une victoire personnelle”, ainsi il pouvait inventer de nouveaux parcours.
Je m’interrogeais aussi sur l’existence d’effets de recomposition spatiale, sociale et économique qui seraient induits par le développement et l’aménagement de ce qu’on nomme communément “un grand complexe d’échange”. Si effets il y a, à quelles échelles ont-ils lieu : “ agglomérations ”, quartiers proches, autres ? De quels types de territoires s’agit-il : juxtaposés, superposés, visibles, etc.?
Enfin, la gare du Nord, depuis longtemps déjà, met Paris en relation avec les autres villes européennes. Par la gare du Nord, c’est toute une tradition et une expérience de la circulation que je percevais : quelles logiques tous ces individus et groupes développent-ils, quels liens, quel sens dans la création d’un tissu commercial où les marchés très spécialisés, “ ethniques ” (les tamouls du faubourg Saint-Denis, longeant la gare du Nord par exemple), deviennent des pôles de rassemblement pour tous ceux qui sont dispersés à Paris mais aussi à l’extérieur; sans oublier d’autres lieux ou d’autres institutions qui semblaient fonctionner à l’échelle régionale ? Quel rôle tient la gare dans tous ces dispositifs ?
La gare n’est pas composée d’espaces abstraits, de “ non-lieux ” (M. Augé) mais est un support à un grand nombre d’échanges divers, aux subversions des espaces-fonctions par le mouvement / sédentarité, aux débordements. Bref montrer en quoi les “ situations ” de métissages, mixités ponctuelles ou durables à la gare permettent de comprendre des logiques territoriales à plus grande échelle : comment le singulier, la micro-localisation, des situations de "quotidienneté" permettent de percevoir les changements plus globaux.
C’est donc l’étude des mobilités / sédentarité qui me permettait de donner une (ou plusieurs) autre(s) définition(s) de la gare.
Voilà donc la multiplicité des axes de recherche de ce DEA, montrant bien toute la difficulté, l’éclatement et la complexité que l’étude des gares mettait en exergue.
J’ai continué en thèse sur la gare du Nord d’abord, pour ensuite me pencher sur la gare Matabiau. A partir de la gare du Nord, je désirais m’interroger sur les redéploiements de collectifs migratoires dans les villes, les nouvelles formes cosmopolites tributaires de l’amplification et de l’accélération des communications. Et cela à partir de leurs usages des dispositifs de transports les plus contemporains, les plus interconnectés, les plus aptes à articuler des niveaux territoriaux du proche au lointain.
Je voulais comprendre comment des lieux de la ville qui font centralité circulatoire peuvent faciliter les négociations indispensables à l’institution de co-présences originales, au développement de côtoiements originaux parce qu’appuyés sur les opportunités originales de communication, d’installation, de valorisation des lieux et des initiatives, de définition de nouvelles centralités territoriales urbaines, spécifiques ou collectives, permises par les déploiements les plus récents des technicités circulatoires.
C’est notamment en remarquant les installations d’Indiens (Tamouls plus particulièrement) aux proches alentours de la gare (rue du faubourg Saint-Denis), et les liens qu’ils entretiennent avec la ville et d’autres territoires (notamment des quartiers de Londres), que ces questionnements devinrent centraux.
Ces observations et d’autres encore (la centralité, et pas uniquement commerciale, de réseaux de sociabilité de la rue Myrha, par exemple) me permettaient donc de considérer la gare du Nord sous l’aspect des articulations entre lieux et populations que permettent les interconnexions de transports, et laissaient donc voir la richesse et la diversité des réseaux et des contextes d’étapes, d’installations plus ou moins ponctuelles dans la ville, de ces collectifs “ identitaires ”.
La gare devient un outil méthodologique (commodité méthodologique ?) pour approcher autrement la ville. Je m’intéresse donc à la façon dont les étrangers font “ œuvre cosmopolite ” : c’est-à-dire, comment ils créent des opportunités nouvelles pour ces mixités, ces métissages, que ne laissaient pas augurer, il y a peu encore, les spécialisations fonctionnelles et les ségrégations sociales, les affectations culturelles, économiques et ethniques urbaines ?
Les mobilités, et les rencontres qu’elles permettent hors de ces lieux d’affectation résidentielle ou commerciale urbaine, construisent dans la ville, souvent sur le mode des juxtapositions, des espaces du mélange et de la reconnaissance. Ainsi se constituent des mondes de l'altérité : autres étranges plus qu'étrangers au sens ethnique du terme, tels que jeunes sans attaches, errants (avec ou sans papiers), individus privés de l'intensité des échanges à cause de leur âge ou d'évènements divers, ou tout simplement populations ethniques s'émancipant fugitivement des contraintes de la ségrégation résidentielle.
Leurs co-présences dans des lieux du passage permettent à ces altérités d’instituer des proximités inusuelles où l’enracinement local et la légitimité institutionnelle, l’opportunité des usages fonctionnels de la ville ne font plus lien ni ordre mais permettent des échanges intenses, des initiatives de sociabilités peu vues, peu reconnues, mais réelles, bien que naissant sous le regard du chercheur.
Les gares, par exemple, lieux carrefours, autorisent, selon des rythmes sociaux que nous désirons identifier, la manifestation de ces comportements. Elles offrent la commodité de délimiter des terrains de départ des investigations. En effet, ce qui fait l’exemplarité de la gare, ce sont les rencontres permises entre étrangers et autochtones sur ce mode des altérités réciproques : là, en formations cosmopolites se côtoient, se regardent enfin, s’évitent ou se parlent, des personnes que rien ne fédère dans l’ordre habituel des co-présences résidentielles : le “ tu n’es pas d’ici ” ne fait plus sens. On peut donc dire que les gares font partie de ces lieux qui ne sont pas identifiés comme ceux d’une affectation particulière.
Conclusion :
Il s'agit donc d'introduire ici une réflexion qui ne localise pas des grands groupes de migrants dans des enclaves urbaines, mais qui met en exergue la fluidité des espaces intermédiaires, au nombre desquels se trouve la gare. Il s'agit de prendre à témoin la gare Matabiau à Toulouse, perméable à de telles manifestations cosmopolites qui contribuent à la formation de nouveaux espaces d'initiatives sociales et économiques, de rencontres, s'étendant par proximité aux quartiers voisins, et par proximité morphologique à d'autres lieux ayant les mêmes caractéristiques. Ainsi, se construit dans un même mouvement notre objet, nos enjeux épistémologiques et méthodologiques, dans ce lieu tel que la gare où les étrangers font œuvre cosmopolite.
Par ailleurs, si ce travail de thèse part d’un lieu et non d’une population, si l’étude des grandes migrations n’est pas un préalable à ma recherche (les mobilités étudiées ont pour théâtre un territoire plus restreint), il me semble cependant important de souligner, et ce, quel que soit le terrain ou l’objet de recherche, le grand intérêt porté par tous aux formes de socialisation originales (nouvelles ?) exprimées à partir des mobilités et des rencontres qu’elles permettent.
En effet, il est intéressant de voir l’importance des mobilités, quel que soit le terrain ou l’objet de recherche, dans la construction identitaire, dans le bricolage identitaire. Ce type d’approches par les mobilités semble permettre une compréhension plus fine, met en exergue des articulations originales entre espace – temps – identité, triade fondatrice des sciences sociales et humaines.
Les discussions et communications des apprentis chercheurs et des chercheurs confirmés m’ont persuadée qu’aborder les divers terrains et objets, nécessitait (avant tout ?) l’apprentissage ou la création d’un vocabulaire, la redéfinition de concepts qui nous semblent classiques ou jouissant d’une définition unanime, et ce, quel que soit le champ disciplinaire auquel on se raccroche.
Effectivement, aborder un terrain, un objet par les mobilités, montre qu’il faut s’interroger sur la polysémie des termes employés (nomadisme, territoire, espace, local, transnational, …), afin d’avoir accès à un “ savoir être total ” (De Tapia, Simon) des individus et groupes observés sur nos terrains respectifs.
Outre cette réflexion théorique, épistémologique (?), des interrogations parallèles, symétriques en ce qui concerne les techniques d’enquête sont importantes quant à l’appréhension des faits de mobilités. Là aussi, c’est une grande diversité des approches que l’on a pu remarquer : aborder la “ culture ” de la mobilité par la mise en exergue d’une biographie, pour voir le jeu entre les libertés individuelles et les normes sociales permet de dégager un espace de liberté (B. Fliche) ; entre autres, suivis, accompagnements de groupes circulants marocains pour comprendre leur dynamique circulatoire et repérer les territoires qui les supportent et les réseaux qu’ils mobilisent (C. Gauthier), pour ne citer que ces deux exemples.
Alors, à travers ces différentes recherches qui ont été exposées dans cette session d’Études Doctorales, vouloir comprendre les faits de mobilité c’est, me semble-t-il, un bricolage permanent constitutif du cheminement de recherche, d’invention, de re-création.