Les Kurdes et le phénomène des aşiret

Dans la littérature des études kurdes, l’opinion répandue et récurrente quant à la structure socio-économique de la société kurde est qu’elle s’organise autour des rapports tribaux. Des orientalistes russes aux orientalistes européens du XIXe siècle, en passant par les travaux sociologiques et anthropologiques au XXe siècle, le phénomène de tribu occupe le cœur des études kurdes. Malgré les diverses définitions et analyses proposées par les voyageurs, diplomates, ethnologues, sociologues et historiens, dès le début du XIXe siècle ; tous se rejoignent sur le fait que le système tribal relève d’une organisation politique de la société. La définition de la tribu de l’anthropologue néerlandais, Martin van Bruinessen, qui repose sur cette idée est la plus acceptée. Selon lui, « une tribu kurde est une entité socio-politique, descendant d’ancêtres communs ou supposés tels, organisée autour de la parenté, disposant souvent aussi d’une intégralité territoriale (donc économique) et d’une organisation interne spécifique » (2013:82).

L’ouvrage le plus approfondi sur l’histoire et les tribus kurdes est celui de Şerefxanê Bedlîsî. Dans son ouvrage Şerefnâme, daté de 1597 et rédigé en persan, il relate la généalogie extrêmement détaillée des dynasties et tribus kurdes. Même de nos jours, ce travail demeure un ouvrage de référence essentiel pour les chercheurs en études kurdes. L’ouvrage posthume de Ziya Gökalp, Études sociologiques sur les tribus kurdes, qui repose sur son travail de terrain dans les régions de Mardin et d’Urfa dans les années 1920 est la première étude sociologique effectuée en Turquie, sur les tribus kurdes. Il sera suivi de la thèse de doctorat du sociologue İsmail Beşikçi rédigée au milieu des années 1960 et publiée pour la première fois en 1977, Le changement dans l’Est et les problèmes structurels : la tribu nomade Alikan. Identifié à la kurdicité, devenue presque taboue, après la fondation de la Rébuplique turque ; le phénomène de tribu recevra sa part du silence que le champ universitaire turc réserve aux Kurdes. Celui qui brise ce silence pour la première fois, İsmail Beşikçi, en fera les frais en totalisant des peines de prison atteignant presque vingt ans.

L’ouvrage de l’anthropologue anglais Edmund Ronald Leach, les Kurdes Rewanduz : l’organisation socio-administrative (2001), d’après son travail de terrain ethnographique conduit en 1938 auprès des Kurdes Rewanduz d’Iraq et celui de l’anthropologue norvégien Fredrik Barth, Les principes de l’organisation sociale au Kurdistan (2001), sur les tribus kurdes Djaf en Iran et en Iraq demeurent les principales études de terrain sur les tribus kurdes. Elles sont suivies par Agha, cheikh, État (2003) de Martin van Bruinessen, basé sur un travail de terrain ethnographique mené dans les années 1970, dans les quatre parties du Kurdistan et reconnu de nos jours, comme un livre de chevet sur l’organisation sociétale kurde. De même, Les tribus et les relations de parenté chez les Kurdes (2002) de Lale Yalçın-Heckmann, reposant sur un travail de terrain ethnographique auprès des tribus à Hakkari, est un ouvrage majeur. D’un autre côté, Les bataillons de Hamidiye-Les peuplades aux confins de l’empire et les tribus kurdes (2013) de Janet Klein, qui découle d’une étude d’archives consacrée aux tribus membres des bataillons de Hamidiye, introduits vers la fin de l’Empire ottoman, donne de précieuses informations sur le rôle actif de ces tribus en périphérie de l’empire, à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

Après les travaux d’İsmail Beşikçi portant sur la tribu Alikan dans les années 1960, un silence total sur les tribus kurdes a régné dans les universités turques. Ce silence a été partiellement brisé après 2007. Depuis, des monographies thématiques ont commencé à voir le jour ; par exemple Vahap Uluç (2007) a traité de la représentation politique à travers le cas de la tribu Kîkan de Mardin, Sait Ebinç (2008) du rapport entre la tribu, la communauté “cemaat” et l’État dans l’Est anatolien, Faruk Sümer (2009) de la fonction politique de la tribu en tant que puissance locale, Sıtkı Karadeniz (2012) de l’évolution du système tribal dans le cas de la ville de Batman et de ses nouvelles formes dans l’espace urbain, Mahmut Kaya (2013) de l’évolution des tribus d’Urfa dans le procesus de modernisation, Ayşe Yıldırım (2013) du rapport entre la tribu et l’État, en étudiant la situation frontallière de Nusaybin et Ahmet İlyas (2014) du rapport entre la tribu et la politique. Le point commun de ces études de tribu, conduites dans des universités sous forme de recherches doctorales, est d’analyser la place de la tribu face aux évolutions modernes et contemporaines, sous différents angles.

Ces dernières années, les études locales sur l’histoire kurde et celle des tribus sont en nombre croissant et attirent de plus en plus l’attention. Elles constituent une mine d’informations sans égal qui permet aux tribus de se nourrir surtout de leur histoire locale propre. Due aux pressions sur la langue kurde et à son interdiction, surtout après la proclamation de la république, l’inexistence d’une production écrite en kurde et le manque de motivation des chercheurs en sciences sociales travaillant sur les Kurdes pour apprendre la langue ou les moyens limités d’apprentissage ont fini par empêcher l’accès à la mémoire vivante kurde et donc bloqué une historiographie extrêmement riche et venant d’en bas. Néanmoins, la montée du nombre d’académiciens kurdes, la publication des recueils de mémoire orale et aussi l’intérêt grandissant pour l’histoire locale ont entraîné une rupture significative dans ce domaine. Quelques exemples à ces travaux sont : Ha Wer Delal – La vie d’Emînê Perîxanê (2008) de Hüseyin Demirer où il trace l’histoire de la tribu Raman, Les Garzan et Pencinarî dans l’histoire kurde (2016) de Nezîrê Cibo où il est question de la tribu Pencinar et son autre ouvrage sur l’histoire de la tribu Heverkân Les sultans Heverkân : de Midyat aux côtes baltes, et Eşîra Reşkotan (2016) de Mihemed Seîd Temel sur l’histoire de la tribu Reşkotan. Le fait que ces travaux, qui pourtant regorgent d’un riche contenu sur le local et le tribal, adoptent une historiographie anachronique et nationaliste, en faisant fi d’une méthodologie scientifique, constitue malheureusement une limite sérieuse.

Bibliographie sélective

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