Historique de l'IFEA 1929-1989

Dans un rapport daté du 21 mai 1929 et adressé au ministre des Affaires étrangères, René Dussaud, conservateur en chef du département des Antiquités orientales du Musée du Louvre, constatait qu'à cette date, il n'y avait plus de mission archéologique française en Turquie pour poursuivre la tradition de celles qui s'y étaient succédé au cours du XIXe siècle. De retour d'Ankara où il avait eu des entretiens dans les milieux officiels turcs et français, il suggérait de développer les recherches dans deux directions : les antiquités islamiques et les antiquités proprement anatoliennes. Il proposait en outre au ministre la création d'un Institut installé dans les locaux de l'ancienne ambassade de France près la Sublime Porte. Cet Institut, écrivait-il, "devait être pour nos jeunes savants la porte de l'Anatolie", les préparant à l'exploration "que cette dernière réclame dans tous les domaines".

Ce projet prit corps et, le 26 mars 1930, l'ambassade de France à Ankara adressa une note à ce sujet au ministère des Affaires étrangères de Turquie qui donna rapidement son accord pour la création de l'Institut Français d'Archéologie. Cet Institut s'établit dans le bâtiment de l'ancien drogmanat de l'Ambassade à Istanbul, construit en 1874, et fut inauguré le 1er octobre 1930 par Sébastien Charléty, recteur de l'Académie de Paris. Une note du ministère des Affaires étrangères de Turquie, datée du 28 février 1931 et adressée à l'Ambassade de France, fixa le cadre de l'Institut. 

Le premier directeur de l'Institut, Albert Gabriel, professeur à l'Université de Strasbourg et auteur de nombreuses publications sur les monuments turcs d'Anatolie, conserva sa résidence permanente en France. Il était assisté d'un comité constitué d'administrateurs et de personnalités scientifiques, spécialistes de l'orientalisme ancien et moderne, de l'archéologie classique et des études byzantines.

Trois ans après sa création, l'Institut fit paraître sa première publication dans la collection des Mémoires. Celles des Études anatoliennes, puis des Monuments turcs d'Anatolie devaient bientôt suivre. Des pensionnaires scientifiques furent nommés. Ils résidèrent à Istanbul de manière permanente : Edmond Saussey (études turques modernes), Raymond Jestin (études sumériennes), Pierre Devambez (archéologie classique), Emilie Haspels (archéologie classique), de nationalité néerlandaise, Henry Corbin (études iraniennes), Pierre Prost (études turques), et Marcel Colombe (études turques).

Un chantier de fouilles fut ouvert en 1936 sur le site de Yazilikaya, auquel participèrent P. Devambez, E. Haspels et R. Jestin, avec le concours de Halet Çambel, assistante à l'Université d'Istanbul.

Au printemps de 1941, Albert Gabriel, que l'invasion de la France avait surpris en Turquie, posa sa candidature au Collège de France et quitta son poste. Au cours de l'été de la même année, Henri Seyrig assura pendant quelques mois la direction de l'Institut, puis rejoignit la France Libre. À son départ, il confia l'Institut à Henry Corbin, demeuré sur place, qui quittera la Turquie pour l'Iran en 1945.

Albert Gabriel fut renouvelé à cette date comme directeur, toujours sans obligation de résidence. Deux membres scientifiques furent nommés : Robert Mantran, historien de la Turquie ottomane et Henri Metzger, archéologue classique. Ce dernier fut remplacé en 1947 par Xavier de Planhol, géographe. Au début des années 50, les contrats de R. Mantran et X. de Planhol vinrent à terme. Les postes vacants ne furent pas pourvus. Dès lors, l'Institut devait demeurer sans pensionnaires pendant plus d'une décennie.

En 1950, deux chantiers de fouilles furent ouverts, à Claros et à Xanthos, mais sans rapport direct avec l'Institut, qui ne servit plus que d'étape pour les archéologues.

En 1956, Louis Robert, professeur au Collège de France, spécialiste d'épigraphie grecque et de géographie historique, fut nommé directeur en remplacement d'Albert Gabriel, qui avait atteint l'âge de la retraite. Il conserva de même sa résidence permanente en France.

Louis Robert mit un terme aux anciennes collections de publications et les remplaça par la Bibliothèque archéologique et historique de l'Institut Français d'Archéologie d'Istanbul, qui devait compter 28 titres en moins d'un quart de siècle.

En 1964, Louis Robert fut remplacé par Emmanuel Laroche, professeur à l'Université de Strasbourg, spécialiste des langues et civilisations anatoliennes. Il ne résida pas non plus à Istanbul de manière permanente.

L'Institut ne comptant plus de pensionnaires scientifiques, Jean-Pierre Sodini, spécialiste d'archéologie byzantine, y fut détaché par le CNRS de 1969 à 1972.

Onze ouvrages devaient paraître dans la collection de l'Institut au temps de la direction d'Emmanuel Laroche.

À partir de 1972, Paul Lemerle, professeur au Collège de France, appela à plusieurs reprises l'attention du directeur général des Relations culturelles sur la situation de l'Institut : maison vide, bibliothèque manifestement insuffisante, absence de pensionnaires scientifiques, directeur résidant en France. Il recommandait que, si une solution n'était pas trouvée pour remédier à cet état de choses, la maison soit purement et simplement fermée.

Au printemps de 1975, il fut décidé que l'Institut aurait désormais un directeur résident et des pensionnaires scientifiques. Un conseil scientifique fut constitué. Lors de sa première réunion, le 5 juillet 1975, il fut décidé de donner à l'établissement l'intitulé nouveau d'Institut Français d'Études Anatoliennes, marquant ainsi la plus large ouverture de ses activités vers l'ensemble des civilisations qui se sont succédé sur le territoire de la Turquie, des périodes les plus anciennes à nos jours. Lors de sa seconde réunion, il élit au poste de directeur Henri Metzger, professeur à l'Université de Lyon II, spécialiste d'archéologie classique, directeur des fouilles de Xanthos et du Létôon. Il nomma d'autre part comme pensionnaires Sylvestre Dupré, archéologue de l'Anatolie ancienne, François Georgeon, historien de la Turquie moderne, et Jean-Marie Carrié, historien de Rome. En 1978, Alain Davesne, archéologue classique, et Francis Joannès, assyriologue, succédèrent à S. Dupré et à J.-M. Carrié. En 1979, Dominique Halbout du Tanney, historienne de l'art ottoman, succéda à F. Georgeon. Serge Sadler fut affecté à l'Institut comme architecte. Michel Coindoz fut nommé pensionnaire la même année.

Le sous-sol du bâtiment fut aménagé de manière à pouvoir accueillir une réserve de la bibliothèque ainsi qu'un bureau d'architecte. La cour intérieure fut recouverte d'une toiture et transformée en salle de travail.

Trois rencontres scientifiques eurent lieu à l'Institut au temps de la direction d'Henri Metzger ; en octobre 1977, un colloque sur la Lycie antique (les Actes en furent publiés dans la Bibliothèque... de l'Institut, tome XXVII) ; en septembre 1978, le "Colloque franco-turc d'histoire des institutions" (une partie des communications fut publiée dans les Annales de la Faculté de Droit d'Istanbul, t. XX, VI-47, 1979) ; en octobre 1979, un colloque sur les techniques de laboratoire appliquées à l'étude des céramiques archaïques de l'Anatolie égéenne.

À partir du tome XXVI, la Bibliothèque... prit le nom de Bibliothèque de l'Institut Français d'Études Anatoliennes.

Par Henri Metzger (Directeur de l’IFEA de 1975 à 1980)

Atteint par la limite d'âge, Henri Metzger quitta son poste le 1er octobre 1980. Son successeur fut Georges Le Rider, administrateur général de la Bibliothèque Nationale, qui prit ses fonctions en juillet 1981 : il devait les occuper jusqu'au 30 septembre 1984.

1981-1984 - par Georges Le Rider

Au cours du Conseil scientifique de juillet 1981, plusieurs décisions importantes furent prises : le nombre des pensionnaires de l'Institut serait porté de trois à cinq, par l'addition d'un pensionnaire français et celle d'un pensionnaire turc ; le directeur serait assisté d'un secrétaire général ; un architecte VSNA et un photographe seraient affectés à l'Institut dès que possible.

En octobre 1981, Alain Davesne et Francis Joannès furent nommés chercheurs au CNRS. Ils furent remplacés par Bertrand Lafont, assyriologue, et Nicolas Vatin, turcologue, qui arrivèrent à l'Institut comme Michel Coindoz commençait sa deuxième année. Le poste de quatrième pensionnaire français fut attribué à Michel Balivet, spécialiste de Byzance. A leur tour, Bertrand Lafont et Michel Coindoz quittèrent l'Institut en septembre 1982, le premier pour le CNRS, le second pour un emploi dans le secteur privé. Ils eurent comme successeurs François Déroche, spécialiste des Corans, et Gérard Groc, historien de l'époque contemporaine. Le pensionnaire turc, Ibrahim Çaglar, fut recruté à la fin de 1982 : il préparait lui aussi une thèse sur l'époque contemporaine.

Serge Sadler, architecte, devint secrétaire général de l'Institut, et le poste d'architecte fut occupé par Olivier Baudon, VSNA. Paul Vesseyre fut recruté comme photographe du milieu de 1982 à la fin de 1983.

L'arrivée de ces nouveaux membres à l'Institut posa un problème de locaux. Une extension fut accordée dans le Palais de France, où l'Institut disposa de six chambres-bureaux. En outre, des plans furent soumis au Ministère pour la transformation du bâtiment même de l'Institut.

La bibliothèque, qui se trouvait aussi à l'étroit, fut dotée de rayonnages compacts qui augmentèrent considérablement la capacité de stockage.

Un effort particulier fut accompli pour développer des actions en commun avec des spécialistes turcs et l'Institut put ainsi présenter un programme scientifique fondé sur une collaboration franco-turque : étude du quartier de Galata à Istanbul, recherche sur la presse de langue française en Turquie sous l'Empire Ottoman et la République, travaux dans les collections des Musées d'Istanbul (Musées archéologiques, Musée de Topkapı, Musée des Arts Turcs et Islamiques), participation à la fouille turque de Domuztepe, etc.

Plusieurs rencontres et colloques furent organisés : en mai 1982, une réunion présidée par le Professeur Ekrem Akurgal mit au point les possibilités de collaboration franco-turque en matière de recherche ; en mai 1983, fut tenue une "Première semaine juridique franco-turque" ; en mai 1984, deux colloques eurent pour thème, l'un : "La presse de langue française en Turquie" (il fut suivi d'une journée d'études sur le mouvement des "Jeunes Turcs"), organisé en collaboration avec l'École Supérieure de Journalisme de l'Université d'Istanbul. En outre, au cours de l'hiver et du printemps 1983-1984, cinq conférences furent faites en français à l'Institut par des spécialistes turcs.

Plusieurs expositions furent présentées à Istanbul avec la participation de l'Institut : l'une, notamment, eut lieu dans une salle de la Bibliothèque Süleymaniye, en hommage à la mémoire d'Albert Gabriel.

1984-1990 - par J.-L. Bacqué-Grammont

À Georges Le Rider, nommé professeur à l'Université de Paris IV, succéda le 1er octobre 1984 Jean-Louis Bacqué-Grammont, directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique, turcologue et historien de l'Empire ottoman, qui poursuit et développe les activités de l'Institut dans les directions imprimées par ses devanciers.

À la fin de 1989, on peut brosser de l'Institut le tableau qui suit.

Missions

L'Institut est l'un des 21 instituts et centres de recherches français à l'étranger dépendant de la Sous-Direction des Sciences Sociales et Humaines de la Direction Générale des Relations Culturelles, Scientifiques et Techniques du Ministère des Affaires Étrangères.

L'Institut est un établissement d'accueil et de recherche pluridisciplinaire, dont le domaine d'activité s'étend, chronologiquement, de la préhistoire à l'époque contemporaine, géographiquement au territoire de la République de Turquie en tout cas, d'une manière générale au monde ottoman, voire turc, là où n'est pas déjà implanté un institut français analogue.

À côté des programmes de recherche personnels de ses membres, l'Institut développe ses propres programmes, ponctuels ou permanents, seul ou en collaboration avec d'autres institutions scientifiques françaises, turques ou de pays tiers. Ces programmes peuvent concerner des études sur le terrain (reconnaissances, prospections) ou porter sur la constitution de banques de données, grâce à l'équipement informatique performant dont il s'est peu à peu doté. Dans ce dernier domaine, les principaux axes de recherche sont, pour l'Antiquité, la numismatique grecque et romaine, pour les études turques, les cimetières de l'époque ottomane envisagés des divers points de vue de l'épigraphie, de l'histoire des institutions, de la société, de l'art et de l'urbanisme.

Le bilan de l'activité et les projets de l'Institut à court ou moyen terme sont soumis annuellement au contrôle d'un Conseil scientifique présidé par le Sous-Directeur des Sciences Sociales et Humaines et auquel participent un représentant du Centre National de la Recherche Scientifique et un représentant de la Direction de la Recherche et des Études Doctorales du Ministère de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche. En 1989, les membres du Conseil Scientifique sont :

  • M. Louis BAZIN, professeur à l'Université de Paris III, directeur d'études à l'École pratique des Hautes Études. Turcologue.
  • Mme Marie-Claire CAUVIN, directeur de recherche au CNRS. Préhistorienne.
  • M. Gilbert DAGRON, professeur au Collège de France. Byzantiniste.
  • M. Paul GARELLI, membre de l'Institut, professeur au Collège de France. Assyriologue.
  • M. Christian LE ROY, professeur à l'Université de Paris I, chef de la mission archéologique de Xanthos-Létoon.
  • M. Robert MANTRAN, professeur honoraire à l'Université de Provence. Ancien pensionnaire de l'IFÉA. Historien de l'Empire ottoman.
  • M. Olivier PELON, professeur à l'Université de Lyon II, chef de la mission archéologique de Porsuk.
  • M. André RAYMOND, professeur à l'Université de Provence. Historien des provinces arabes de l'Empire ottoman.
  • M. Jean-Pierre SODINI, professeur à l'Université de Paris I. Ancien membre scientifique de l'IFÉA. Archéologue.
  • M. Jacques THOBIE, professeur à l'Université de Rennes II. Historien de l'économie et de la société en Turquie et au Moyen-Orient.

Depuis 1985 est greffée sur l'Institut une formation du CNRS, le Groupe de Recherche no. 736, "Société, architecture et urbanisme en Turquie", composé d'architectes, d'urbanistes, d'historiens et de sociologues français, turcs et de pays tiers, qui poursuivent des recherches sur les formes traditionnelles de l'habitat et l'histoire du développement urbain en Turquie.

En 1988 a été créé au sein de l'Institut une nouvelle structure, l'Observatoire Urbain d'Istanbul, calqué dans son principe sur l'exemple très encourageant de l'Observatoire Urbain du Caire Contemporain, expérimenté au Centre d'Études et de Documentation Juridique et Sociale (CEDEJ) du Caire. Cet Observatoire Urbain dépend à la fois du Ministère des Affaires Étrangères et du Bureau de la Recherche Architecturale au Ministère de l'Équipement et du Logement. Il a pour mission de constituer un fonds de documentation (cartes, plans, photographies, livres et périodiques) sur l'évolution urbaine d'Istanbul et d'autres villes de Turquie. Mais aussi d'agir comme un organisme de liaison entre équipes et chercheurs de tous pays travaillant dans ce domaine. Un chercheur permanent est affecté à l'Observatoire Urbain et a, entre autres tâches, celle d'assurer la publication d'un bulletin de liaison semestriel.

D'une manière générale, la vocation de l'Institut est de promouvoir les études anatoliennes par les recherches qui sont poursuivies en son sein ou avec sa collaboration, l'organisation de rencontres scientifiques (de la table ronde au congrès international), de conférences et d'expositions, par des publications et en contribuant à la réalisation de missions de spécialistes turcs en France et français en Turquie.

Texte écrit par Jean-Louis Bacqué-Grammont

Voir aussi le Courrier de l'IFEA rédigé sous l'initiative de Paul Dumont en mars 2000 faisant l'état des lieux des projets scientifiques en cours et de l'équipe de chercheurs en place (cliquez ici).