par Solène Poyraz

dans "Pouvoir des armées, armées au pouvoir", Confluences Méditerranée, n°122 automne, octobre 2022.

https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2022-3-page-115.htm

Cet article vise à démontrer la place que les séries peuvent prendre dans l’arsenal de communication développé par l’État turc, notamment après la tentative de coup d’État du 15 juillet 2016. Alors que l’entreprise de recherche et consultation Konda qualifie la société turque de « société à télévision » et que les séries constituent une interface entre le domaine public et la vie privée, une série d’espionnage diffusée sur TRT1 et mettant en scène les forces armées turques en Syrie n’est pas anodine. Il s’agit de légitimer les interventions, et plus généralement la politique syrienne de la Turquie, tout en montrant la réorganisation de l’appareil sécuritaire en faveur des services de renseignement. Finalement, la série « Teşkilat » est une mise en scène sérielle du Nouveau Concept de Sécurité qui rassure et familiarise le public avec une rhétorique basée sur un récit historique, et normalise des pratiques violentes autorisées par l’état d’exception permanent instauré depuis 2016.

En août 2016, avec le lancement de la première opération officielle des forces armées turques sur le territoire syrien, la Turquie se saisit de la Syrie pour la mise en scène de son armée et de son appareil militaire. Une décision officiellement justifiée par la protection de ses frontières, la création d’une zone tampon pour le retour de la population syrienne réfugiée en Turquie depuis 2011 et la lutte contre le terrorisme. Aujourd’hui, on compte principalement quatre opérations et zones d’opérations encadrées par les forces armées turques en Syrie : après « Bouclier de l’Euphrate », la Turquie lance « Rameau d’olivier » en janvier 2018, « Source de Paix » en 2019 et « Bouclier du printemps » en février 2020.
Ces dernières années, les actions de la Turquie ont tendance à être labellisées de néo-ottomanes du fait des territoires concernés et de la rhétorique mise en place pour encadrer les interventions. Il nous semble que cette lecture empêche en réalité de voir la complexité des processus en cours. Surtout, cela tend à rendre exceptionnel le rapport de la Turquie à ses frontières à l’heure où la tendance globale est de sécuriser les frontières, et de « sécuritiser » le débat public, c’est-à-dire de fabriquer des enjeux de sécurité qui font sortir les thématiques de la politique ordinaire pour les placer dans le domaine de l’urgence et de l’exception, exigeant ainsi des mesures spécifiques voire extraordinaires. Sans entrer davantage dans le débat, nous souhaitons développer un autre aspect dans cet article en montrant que ces opérations militaires sont aussi des opérations de communication et de mise en scène des forces armées turques, autant pour l’extérieur que pour l’intérieur…

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Plan de l'article:

1. De la justification des opérations : l’épisode 10 et la mission historique de la Turquie en Syrie

  • « Ce que tu appelles la Syrie… » : une Turquie menacée donc menaçante ?
  • La gestion de la crise syrienne comme source de supériorité morale

2. Les dommages collatéraux d’une communication acharnée

  • Les opérations comme une piqûre de rappel du contrat de turcité pour l’intérieur
  • « L’État ne négocie pas avec les terroristes » : l’épisode 27 ou comment mettre l’opposition « hors d’état de nuire »

3. Les drones turcs : véritables protagonistes des opérations et de la série ?

  • Idlib, une performance qui a fait entrer la Turquie dans la « ligue »
  • D’une production « locale et nationale » vers une autonomie stratégique

 

S.Poyraz, « Teşkilat, une série sécuritaire au service de la communication politique sur les opérations militaires de la Turquie en Syrie », Pouvoir des armées, armées au pouvoir, Confluences Méditerranée, n°122 automne, octobre 2022.