En France, la question des demandeurs d’asile aux frontières, de leur détention et de leur refoulement n’a jamais constitué une question politique importante, excepté en 1991, année qui a précédé la législation des zones d’attente . Dernièrement, la parution du rapport du sénateur Louis Mermaz au cours de l’année 2000 et les différents comptes-rendus de l’Anafé n’ont pas conduit à l’amorce des débats politiques escomptée. La procédure concernant l’arrivée sur le territoire des demandeurs d’asile reste donc opaque ; même si des associations de défense des étrangers y portent un intérêt plus régulier depuis deux ans. Dans ce contexte, le concept de frontière a beaucoup évolué durant les vingt dernières années, à travers les politiques migratoires, conduisant les réseaux associatifs spécialisés dans le soutien aux requérants à l’asile à intervenir de plus en plus au sein de ces nouveaux espaces frontaliers afin d’aider les étrangers souhaitant déposer une demande d'asile en France. Une analyse des rapports entre les mobilités des requérants à l’asile et le rôle de ces associations, permet de mettre en évidence certains enjeux liés au droit d’asile et les pratiques migratoires qu’il suscite en France.
Ainsi, depuis 1980, face à l’augmentation du nombre de demandeurs d'asile, les évolutions du concept de frontière dans les politiques migratoires accentuent les difficultés des parcours des demandeurs d'asile. Et dans le pays d’accueil, ces changements ont des conséquences concernant l’accès à la demande d’asile, où les obstacles administratifs se substituent aux rôles des frontières.
En France, l’aéroport parisien Roissy Charles De Gaulle a reçu durant ces dernières années 96% des demandeurs d’asile aux frontières . Cette suprématie statistique s’explique principalement par le fait que les contrôles aux frontières terrestres sont plus difficiles à effectuer. Les deux campagnes d’observation réalisées en région parisienne durant les mois de janvier et février 2001 vont permettre de comprendre l’ampleur des difficultés.

La notion de frontière dans le contexte actuel de l’asile en France

La fermeture des frontières, décidée en France et dans d’autres pays d’Europe en 1973, va être l’amorce d’une dégradation de l’accueil réservé aux étrangers. Ainsi, en l’espace de 25 ans, la législation en matière de droit des étrangers est devenue plus restrictive. Depuis le milieu des années 1980, la politique d’asile est à son tour visée par cette volonté étatique. Avec la construction européenne et les surenchères politiques sur la répression contre l’immigration clandestine, la frontière a pris une nouvelle dimension. Pour un grand nombre d’étrangers, si elle est devenue plus difficile à franchir, elle se « conjugue » aussi sous des formes différentes tout au long du parcours d’un grand nombre de demandeurs d’asile.

Bref rappel sur l’évolution de l’asile en France

Au cours de ces trente dernières années, le nombre de demandeurs d’asile dans les pays occidentaux n’a cessé d’augmenter, et le contexte international a radicalement changé. L'arrêt de la guerre froide aurait pu laisser penser que le nombre de réfugiés allait diminuer. En effet, de nombreux conflits générateurs d'exode étaient souvent le théâtre d'affrontements entre les deux grandes puissances. Or, les mouvements des demandeurs d’asile et des personnes déplacées se sont accrus sous la houlette des désordres mondiaux et de la multiplication des conflits.
En Europe, les grandes métropoles sont le principal réceptacle de ces flux migratoires. Pour exemple, en France, à la fin des années 1990, la région parisienne concentre à elle seule 98 % des demandes d’asile aux frontières et les trois-quarts des demandeurs d’asile recensés par l’OFPRA . Cependant il faut rappeler qu’au regard du nombre total de réfugiés dans le monde, les pays européens restent très frileux sur l’accueil de ces populations.

La restriction de l'asile dans les pays occidentaux s'est amorcée dès le début des années 1980. La France n’échappe pas à la tendance comme le montre le graphique n°1. Ainsi, au cours des vingt dernières années, les gouvernements successifs ont assujetti le droit d’asile aux politiques d’immigration. Cette réticence de la France à accueillir les demandeurs d'asile s’est alors caractérisée par un allongement considérable des procédures d’examen de dossiers. Si l’allongement des procédures de l’OFPRA a conduit au pic de 1989 (cf. graphique n°2) ; d’autres éléments, parfois sous le couvert de la législation, se sont intégrés dans ce schéma, et ont eu des effets dissuasifs sur les potentiels demandeurs d'asile, comme le renforcement des contrôles aux frontières.

Une frontière différente

L’articulation des échelles est essentielle pour mieux comprendre la complexité du phénomène, car si la frontière se définit généralement comme « une limite du territoire d’un Etat et de sa compétence territoriale » , sur le plan migratoire elle tend de plus en plus à se transformer en une interface complexe. Afin de mieux entrevoir la logique de ces mobilités, la démarche sera d’adapter une définition souple du concept de frontière. En effet pour un grand nombre d’étrangers et de demandeurs d’asile en particulier pour ceux qui souhaitent se rendre dans un pays occidental, la frontière est devenue une frange mouvante dont les dispositifs apparaissent bien en amont.
Ainsi pour contrôler les flux migratoires et endiguer le flot des demandeurs d’asile, l’Europe se retranche derrière ses frontières en mettant en place de plus en plus de mesures contraignantes. Certaines s’appliquent dès les pays d’embarquement qualifiés comme sensibles avec des contrôles au départ dans les aéroports. Dans ce contexte de mondialisation, Christian Pradeau souligne que les contrôles des passagers des avions sont également délocalisés . C’est ainsi que dans certains pays africains ou asiatiques, des fonctionnaires européens viennent renforcer les contrôles d’identités dans les aéroports. Dans la continuité de ce dispositif, les transporteurs et les compagnies aériennes sont aussi amenés à vérifier les personnes qu’ils acheminent, sinon ils peuvent être soumis à une amende .
Actuellement l’Europe est dans un processus d’harmonisation concernant l’accès à son territoire. Sur le terrain, cette volonté s’exprime principalement sur la bordure orientale de l’Union européenne où il est envisagé de contrôler les frontières extérieures par des unités mixtes sous la responsabilité des Etats dans lesquels celles-ci opèrent. D’autre part, le Conseil européen semble faire l’unanimité des pays membres en répartissant en deux listes l’ensemble des pays de la planète : ceux dont les ressortissants ont l’obligation de visas et ceux qui en sont dispensés. Dans certains pays européens, cette disposition peut être renforcée par la mise en place de visa de transit. Cette étape administrative supplémentaire a été élaborée pour limiter l’arrivée de réfugiés potentiels dans les aéroports des grandes métropoles. Ainsi au début des années 1990, quelques centaines d’Haïtiens avec un billet pour la Suisse ont demandé l’asile en France lors de leur escale à l’aéroport de Roissy. La France a alors rapidement exigé un visa de transit pour les Haïtiens transitant par son territoire. Haïti n’est pas un cas isolé ; le Sri Lanka, l’Iran, le Ghana, l’Angola, pays où le nombre de demandeurs d’asile est très élevé, sont aussi soumis à cette obligation.
En outre s’il y a peu de législations communes sur l’expulsion et le refoulement au niveau européen , on constate que les accords de réadmission se multiplient entre Etats de l’Union européenne et pays tiers. Ainsi tous les Pays de l’Europe Centrale et Orientale (PECO) sont liés par ce type d’accord avec des pays de l’Union européenne. Après avoir été le glacis défensif de l’ex-URSS, ces nations sont maintenant devenues, en matière d’immigration, celui de la marge orientale de l’Union européenne.
Ces difficultés se développent de plus en plus depuis une dizaine d’années. Les zones d’attente dont l’Etat français a été le pionnier, sont l’un de ces points de crispation. Elles matérialisent une frontière réelle à l’intérieur du territoire qui « est en fait décalé par rapport à la limite théorique, dégageant des marges incertaines » . Avec ce type de structures aux frontières, les pays occidentaux affichent un rapport de forces vis-à-vis des ressortissants des autres pays. Ainsi, sur le plan migratoire, la mise en place des zones d’attente renvoie à l’image des places fortes de Vauban lorsque la puissance royale renforçait ses frontières. Michel Foucher rappelle que l’étymologie est le genre féminin de l’adjectif « frontier » dérivant de front. Avant que Roger Brunet n’ajoute : « qu’au sens militaire, cet ensemble, ni continu, ni situé exactement sur la limite, finit après bien (…) des tractations, par constituer la frontière au sens moderne, sanctionné par un traité et jalonné par des bornes, des barrières, des postes frontières » .
Rappelons brièvement qu’au moment où l’instauration des visas en France s’est généralisée (les premières lois Pasqua en 1986), les étrangers furent de plus en plus nombreux à être maintenus dans les zones internationales des aéroports. Or, la législation ne définissait pas cette zone internationale dont l’espace semblait se limiter entre le lieu de débarquement et les postes de contrôles de police. L’interprétation ne pouvait qu’être très aléatoire. « Nous étions dans une situation de non droit » devait écrire François Julien-Laferrière . Par conséquent à la fin des années 1980, dans les aéroports parisiens principalement, l’inquiétude de parents ou amis ne voyant pas arriver la personne attendue, relayée par celle d’employés des compagnies aériennes ou voyageurs intrigués par le comportement des policiers à l’égard de certains étrangers, ont conduit à alerter les associations de défense des étrangers. Ces dernières allaient obliger le législateur à intervenir.
Les lois du 6 juillet 1992 et du 27 décembre 1994 qui continuent à ce jour à régir les zones d’attente, ne plaçaient plus ainsi ces lieux en dehors du droit. Or, si la mise en place de ces lois constituaient une amélioration, elle instaurait cependant un régime de privation de liberté dérogatoire au droit commun qui, aux frontières du territoire (aéroports, ports, gares ferroviaires internationales par la suite), permet, sous la seule autorité administrative, de maintenir dans des zones d’attente, des étrangers dont le seul délit est de demander l’entrée ou une protection en France.
Dans son dernier rapport, la C.N.C.D.H. souligne encore que toutes ces mesures ont souvent pour conséquence d’entraver l’accès aux procédures d’asile. Toutes ces étapes précédant le passage de la frontière rallongent nécessairement le parcours de ces requérants à l’asile. Et lorsque celle-ci est franchie, ne peut-on pas dire qu’en bien des circonstances la frontière « poursuit » son tracé ou fait rappeler son passage durant toute la procédure de la demande d’asile ?

« La France : une vaste zone d’attente »

Bien que dans la seconde partie, je m’intéresserai principalement aux zones d’attente et aux rôles des associations dans ces différents lieux, il me paraissait important de souligner l’emboîtement des difficultés qui « accompagnent » un étranger souhaitant faire une demande d’asile en France (raisonnement qui pourrait être aussi appliqué dans d’autres pays européens).
Si la complexité du cheminement du requérant à l’asile s’est tout d’abord amplifiée avec l’allongement des procédures (cf. graphique n°1), la suppression du droit de travail des demandeurs d’asile en 1991 a aussi accentué la précarité d’un grand nombre de demandeurs. Et à ce jour, la recevabilité d’un dossier de l’OFPRA pour faire une demande d’asile est assujettie à l’obligation d’avoir une domiciliation. Enfin, à une micro échelle, il y a une multitude de petits faits, gestes, paroles, incompréhensions, non-dits qui existent et s’inscrivent dans le prolongement de la notion de frontière.
Si nous faisons abstraction du dispositif des zones d’attente sur le territoire, nous pouvons dire qu’une des premières difficultés que rencontre un grand nombre de demandeurs d’asile est la recherche d’une adresse. De nombreuses associations offrent ces services. Or au sein de la région parisienne, il arrive fréquemment que des préfectures refusent certaines adresses de domiciliation administratives sur des critères aléatoires : du simple refus à l'argument d'une absence d'agrément. « Souvent, elles refusent d'ouvrir l'accès à la procédure d'asile à des personnes domiciliées dans des structures qui n'ont pas d'agrément « droits sociaux » (c'est-à-dire qui ne sont pas agréés CMU, AME, RMI , Poste, …), ce qui met une pression démesurée sur les autres structures. Pour exemple, à Paris, le CASP (Centre d'Action Social Protestant) et l'ASAF (Association de Solidarité des Africains en France) sont agréés DASS mais refusés par la préfecture de police » . Or, cette suspicion de la part des préfectures à l’égard de ces adresses de domiciliation ne permet pas à ces personnes d’obtenir une première autorisation provisoire de séjour (APS), nécessaire pour entamer les démarches auprès de l’OFPRA et pour pouvoir bénéficier des allocations auxquelles ils ont droit . Et si la personne ne dispose pas d’adresse, les établissements bancaires lui refusent le droit d’ouvrir un compte courant . Par conséquent, il y a blocage des lettres-chèques par les ASSEDIC, mettant les demandeurs d'asile et les centres de domiciliation dans des situations fort délicates.
La précarité de ces personnes s’illustre aussi au niveau des soins. Car si les derniers dispositifs législatifs donnent la possibilité à un demandeur d’asile de s’inscrire auprès de la CPAM et de bénéficier de la CMU, même si celui-ci ne dispose que d’une convocation pour un premier rendez-vous à la préfecture, la réalité est bien plus complexe. En effet certains centres de la Sécurité Sociale refusent de traiter les dossiers prétextant que les demandeurs d’asile relèvent de l’AME. Ainsi face à la pluralité des sigles et des procédures, la personne en arrive à renoncer parfois à ses droits.
Toutes ces vexations administratives qui se greffent autour de la procédure de la demande d’asile ont conduit inexorablement à un développement des situations d’attente et parfois de non droit. La vie quotidienne des uns et des autres placée sous le signe de l’attente, rapporte la CNCDH. Ainsi la difficulté des procédures mises en place par les différents Etats européens, pour répondre au dispositif législatif de l’espace européen conduisent les associations à multiplier leur champ d’action pour faciliter la mobilité des demandeurs d'asile.

Rôle des réseaux associatifs dans les mobilités internationales et internes des demandeurs d’asile
Les nombreux bouleversements législatifs demandent aujourd’hui des compétences de tous les intervenants travaillant dans le domaine de l’asile. Les frontières aéroportuaires, qui deviennent des nouveaux lieux de crispation des politiques migratoires et d’asile dans les Etats de l’Union européenne, ne cessent de montrer « l’abandon progressif des principes de l’asile sous la pression de la logique du contrôle des flux migratoires » . En France, depuis 1995, le nombre de demandeurs d’asile a régulièrement augmenté, passant de 521 à 7392 demandes par an, dont 96% des enregistrements se situent à l’aéroport de Roissy. Les 4% restant se répartissent entre les aéroports d’Orly (2% environ), Lyon, Nice et les ports de Marseille et Calais. L’importance des arrivées comptabilisées par les autorités administratives dans la région parisienne, a induit logiquement les lieux de la dernière campagne d’observation : les zones d’attente de l’aéroport de Roissy et le tribunal de grande instance de Bobigny.

NB: Pour l’année 2000, l’effectif de la série [Nombre d’étrangers n’établissant pas de demande d’asile] n’a pas été inclus dans la catégorie de données.

Les demandeurs d’asile aux frontières : des chiffres erronés ?

Il semble exister une corrélation étroite entre l’évolution de l’histogramme ci-dessus et le temps de présence des associations dans les zones d’attente.
Avec la loi « 35 quater » du 6 juillet 1992 légiférant les zones d’attente, le nombre d’étrangers maintenus à la frontière et qui ne requièrent pas l’asile apparaît dans les statistiques du ministère de l’Intérieur. En effet, les revendications des associations ont au moins permis de clarifier certaines situations aux frontières. Si la loi du 6 juillet 1992 précisait qu’un décret à venir autoriserait le HCR (Haut Commissariat aux Réfugiés) et certaines associations à accéder à ces différents lieux, il aura fallu attendre trois ans avant sa mise en place (2 mai 1995). Ainsi cinq associations vont être habilitées (avec cinq représentants chacune) à effectuer une visite par zone et par trimestre. Durant toute cette seconde phase (de 1993 à 1997) où l’accès des associations a été très limité, le nombre de demandeurs d’asile est resté relativement stable. Les sources statistiques étant en lien avec les autorités qui dictent les politiques migratoires, on peut émettre l’hypothèse que ce graphique ne retranscrit pas la réalité dans son ensemble. En effet, les rares visites des associations ont révélé deux faits essentiels. Tout d’abord, il y a des étrangers qui sont refoulés aux contrôles aux frontières sans que leur demande d’asile ne soit prise en compte. Ils n’apparaissent donc dans aucune statistique. Puis dans la catégorie des étrangers non requérant à l’asile, il existe des candidats à l’asile qui ne sont pas enregistrés en tant que tels.
Le décret du 17 juin 1998 a modifié sensiblement l’accès des associations dans les zones d’attente. Il permet désormais à chaque organisme d’effectuer huit visites par zone et par an. Pour cela, chaque association a la possibilité de demander l’accréditation de dix visiteurs auprès du ministère de l’Intérieur pour une durée de trois ans. Aux cinq premières associations habilitées, trois autres se sont rajoutées : Médecins Sans Frontière, le MRAP et Forum Réfugiés. Cette évolution législative et l’intérêt grandissant des associations concernant l’accès au territoire des étrangers, semblent avoir fait évoluer les chiffres de ces trois dernières années. Ainsi, de 1998 à 2000, le nombre de demandeurs d’asile a été multiplié par sept. Même s’il ne faut pas négliger des facteurs externes tels que le coût moindre des transports aériens ou l’organisation de certaines filières support de ces mobilités, la présence associative ne cesse de révéler la présence de personnes étrangères en zone internationale dont les demandes d’asile ne sont pas prises en compte .
Si ces différentes visites permettent de dénoncer les difficultés d’enregistrement des demandes d’asile, elles soulignent aussi de plus en plus les conditions déplorables de détention des requérants. Aucune assistance ne semble leur être apportée. Les différents entretiens sont assez éloquents à ce sujet. Ainsi plusieurs personnes ont évoqué que dans la zone internationale ils n’avaient rien mangé, excepté quelques aliments offerts par certains passagers en attente d’un vol ; et leur seule « literie » étaient les banquettes de l’aéroport.
Depuis la fin de l’année 2000, la présence associative au sein des zones d’attente s’est renforcée avec la mise en place d’une permanence téléphonique. Ce système géré par plusieurs associations permet à certains étrangers maintenus en zone d’attente d’être informés de leurs droits. Ces contacts se déroulent de différentes manières : soit les permanents contactent les personnes au niveau des cabines téléphoniques dans la zone d’attente, à l’aide des différents numéros que les visiteurs ont auparavant relevés ; soit les étrangers ou des membres de leur famille, voire des amis, appellent pour signaler des irrégularités ou ne serait-ce que leur présence en zone d’attente.
Toutes ces initiatives associatives sont prises afin d’aider les demandeurs d'asile et d’apporter des éclairages utiles sur le déroulement actuel des procédures relatives au placement des étrangers en zone d’attente. Les deux campagnes d’observations qui se sont déroulées dans les zones d’attente de Roissy et au tribunal de grande instance de Bobigny lors des audiences « 35 quater »s’inscrivent dans ce processus.

Conditions de maintien des demandeurs d’asile dans la zone d’attente de Roissy

Si à ce jour les associations rencontrent des difficultés à aider les demandeurs d’asile dans ces lieux de détention et à observer ce qui s’y passe, il est en revanche possible de se rendre aux audiences « 35 quater » : le seul moment public de la procédure. Car si cette publicité des débats permet de saisir le déroulement de ce « cheminement », elle laisse aussi entrevoir les conditions de maintien en zone d’attente.
La zone d’attente de Roissy est composée de plusieurs lieux dispersés sur le site de l’aéroport. Il y a tout d’abord les postes de police situés dans les terminaux, où les conditions d’hygiène sont généralement dégradées. Ensuite il existe plusieurs salles de correspondance où la vétusté est semblable à celles des lieux précédents. Dans ces salles exiguës, surchauffées, des étrangers maintenus à la frontière sont amenés à manger et dormir. C’est ainsi que lors de la visite du 28 janvier 2001, un officier de police indiquait à un membre de l’Anafé que les différents brancards et couvertures avaient fait office de matelas pour les nuitées de plusieurs personnes . Enfin, il y a les lieux d’hébergement en dehors des terminaux. Si, de 1992 à 1999, deux étages de l’hôtel Ibis avaient été réquisitionnés par l’administration ; dernièrement, deux nouveaux centres ont été mis en place face à l’augmentation des étrangers arrêtés à la frontière. Dans un premier temps, en juillet 2000, le centre de rétention administrative du Mesnil Amelot a concédé quelques places afin de désengorger les locaux précédents. Puis il a été construit un nouvel établissement en limite de l’aéroport appelé ZAPI 3 . Si ce dernier bâtiment constitue indéniablement une amélioration des conditions de maintien, il n’en demeure pas moins que des irrégularités de procédure perdurent dans ces espaces en bordure des grandes métropoles.
Le non-respect des droits des demandeurs d’asile se situent à plusieurs niveaux. Il y a tout d’abord pour ces requérants la difficulté de faire enregistrer leur demande lors de leur arrivée. Cela se traduit par l’insuffisance de l’interprétariat, une liberté de communication limitée avec l’extérieur, la violation du jour franc , voire des allégations de violence. D’autres complications peuvent aussi se produire par la suite.
La durée maximale de détention prévue par la loi est de vingt jours. Cependant au bout de quatre jours, une personne ne peut être maintenue en zone d'attente que sur décision du juge du tribunal de grande instance compétent. Une procédure qui peut se renouveler une seule fois le douzième jour pour prolonger le maintien. Les observations effectuées, lors des audiences, ont montré que le comportement des juges peut être extrêmement variable : l’audition d’une personne est susceptible de se faire en moins de trois minutes lors des journées de fortes affluences ! La demande d’asile peut aussi ne pas être étudiée. Les explications fournies par le juge à l’intéressé divergent suivant les situations. Ainsi des magistrats mentionnent systématiquement aux demandeurs d’asile, auxquels ils viennent d’autoriser l’entrée sur le territoire, d’aller chercher un sauf-conduit nécessaire pour retirer un dossier de demande de statut de réfugié dans des délais raisonnables . En outre, dans certains cas, il ne sera rien dit sur la démarche à effectuer. Dans cette dernière situation, seule la présence de bénévoles de la Croix Rouge à ces audiences permet de palier de temps en temps cette difficulté. Si ce n’est le cas, des personnes sont ainsi amenées à affronter une ville qu'ils ne connaissent pas et peuvent être sujets à des filières de travail clandestin, voire à des réseaux de prostitution.

Ces enjeux humains pour la consolidation des frontières, élaborés par les acteurs politiques et administratifs européens, laissent donc entrevoir à différentes échelles un nouveau découpage de l’espace pour en rendre la gestion plus efficace (pays tiers, accords de réadmission, zones d’attente dans les aéroports,…). Cela a donc entraîné des restrictions pour limiter l'accès à ces personnes dans les "pays d'accueil" mais aussi un durcissement dans les procédures de la demande d’asile et des interprétations plus étroites de la notion de réfugié.
Ainsi la frontière est devenue un moyen privilégié pour endiguer le flux des migrants des « pays du sud », sur laquelle des réseaux associatifs de défense des étrangers développent leurs actions afin de favoriser des conditions d’accueil dignes de ce nom.