L'imaginaire collectif contemporain est fortement marqué par une image stéréotypée de l’immigré. C’est une personne pauvre, sans ressource, venue d’un pays peu développé. On pourrait s'attendre cependant à ce qu'une telle réduction n'apparaisse pas aussi crûment dans les publications à vocation scientifique. En effet, si un certain nombre de sociologues construisent des outils pour comprendre les migrations, il serait dommageable qu'ils soient inadaptés pour une partie d'entre elles.

Comment dès lors penser les migrations quand il s'agit de migrants différents des travailleurs, ouvriers, employés ou paysans, venus des pays dits du Tiers-Monde pour être employés dans les sociétés occidentales ? Cette question, largement ignorée par la littérature sociologique, mérite un peu d'attention. Il est en effet des migrants qui ne partagent pas tout à fait le même sort. Le point commun reste bien sûr la migration elle-même, mais son cadre peut varier. Reste que le sens social de toute migration réside d'abord et avant tout, non dans le simple fait d'émigrer, mais bien plutôt dans la triple spécificité du projet migratoire, du rapport de la société d'accueil avec celle d'origine, et enfin des caractéristiques objectives du migrant. Toute approche sociologique d'une migration doit donc prendre en compte ces trois aspects. Et toute théorie à vocation générale devrait alors explorer toutes les déclinaisons possibles de chacun de ces aspects. On pourrait d’ailleurs attendre d'une hypothétique théorie générale des migrations internationales qu'elle envisage les projets migratoires les plus courts comme les plus durables, les plus individuels comme ceux qui sont organisés collectivement, ainsi qu’a pu le montrer Abdelmalek Sayad (1977) notamment. La variété des rapports entre sociétés de départ et d'accueil pourrait à son tour donner lieu à diverses approches selon que le migrant part d'un pays pauvre vers un pays plus riche, ou alors quitte un pays développé pour se rendre dans le Tiers-Monde. L'histoire entre les deux pays paraît tout aussi inévitable. Il n'y a rien de commun en effet entre le Français arrivant au Caire et celui se rendant à Alger, le passé entre les deux pays déterminant en grande partie les attitudes réciproques. Enfin, une approche à vocation générale ne saurait non plus ignorer les caractéristiques objectives des migrants, leurs profils sociaux, leurs appartenances religieuses, leur capital culturel...

Une telle approche n'existe pas à l'heure actuelle, et l'on peut même discuter sa pertinence. Il est toutefois surprenant de constater à quel point la littérature sociologique ignore la variété des expériences de migration internationale. C’est donc dans cet esprit que s’est fait le choix de deux objets d’études inusuels. Les Français de Casablanca et les Américains de Paris ont constitué d’emblée deux terrains propices aux retournements de points de vue.

À rebours des terrains habituels : Français de Casablanca et Américains de Paris

La volonté de remettre en question certains acquis de la sociologie des migrations est à la source de ce travail. Le choix de deux populations atypiques a permis de naviguer sans cesse entre la connaissance de ces populations et la comparaison avec les travaux consacrés aux différentes immigrations en France. Les Français de Casablanca ont été très peu étudiés, et jamais sous l’angle de la migration. Quant aux Américains venus s’installer à Paris, ils ne font l’objet le plus souvent que d’études consacrées aux artistes les plus connus, venus se nourrir d’un foisonnement artistique parisien quelque peu terni depuis lors. L’enjeu de connaissance est donc de taille et se conjugue avec la discussion des limites de l’objet “ immigré ” tel que la sociologie l’a construit depuis les années 1980. Le cheminement méthodologique employé marie donc approche épistémologique et regard anthropologique. Le souci étant de confronter le cœur de la théorie à une enquête de terrain qui l’amène dans ses retranchements.

La littérature sociologique a en effet révélé à quel point l’immigré était pensé à partir du contexte spécifique des années 1980 auquel on ajoute, ainsi que le fait Gérard Noiriel, d’autres périodes de forte immigration en France, la Belle Époque et l'Entre-deux guerres notamment. L’approche qui fait école s’interroge donc sur le statut des immigrés et sur leur intégration possible ou impossible. Elle s’attache très tôt, et dans la plupart des cas, à distinguer les différents immigrés et à fractionner un objet que le débat public a rendu bien trop homogène. L’attention à l’appartenance d’origine, nationale voire régionale, rurale ou urbaine, à l’alphabétisation, ou encore à la conjoncture qui a poussé le migrant au départ, ont ainsi contribué à défaire des amalgames par trop stériles. Le comparatisme s’est donc installé au sein de la démarche sociologique visant à étudier l’immigration et son double conceptuel, l’intégration. Un bref retour sur la littérature permet néanmoins de distinguer trois approches principales. Elles n'ont pas le mérite d'épuiser la totalité des théories existantes, mais rendent compte des sources d'inspiration de la plupart d'entre elles.

L'approche socio-historique : elle trouve ses plus éminents représentants chez Gérard Noiriel et Didier Lapeyronnie. Ces deux auteurs partagent un même souci de replacer les phénomènes migratoires dans leur contexte historique. L'état du marché du travail, la microstructure des classes populaires, ou les environnements politique et institutionnel déterminent la perception de l'immigré et les conditions de son intégration. L'immigration est prise dans un contexte national, ou urbain, dont l'histoire détermine en grande partie les spécificités. Didier Lapeyronnie (1993) s'attache par exemple à mettre en évidence les conditions d'expansion d'un racisme populaire, en liaison avec les représentations de la solidarité prolétarienne en France et en Grande-Bretagne. Dans Le creuset français (1988), Gérard Noiriel montre quant à lui, la récurrence de la xénophobie en période de crise économique. Il pointe, par exemple, l'existence dans l'Entre-deux-guerres d'un groupe de pression constitué par les médecins, qui réclame et obtient la création d'un cadre légal écartant toute concurrence d'homologues étrangers. Les vagues xénophobes touchent quasi systématiquement les immigrés les plus récemment arrivés, ce qui a l'effet paradoxal d’amener l'auteur à constater que chaque vague contribue à l'intégration définitive des immigrés arrivés bien avant ceux que la vindicte populaire montre du doigt. Mais, en tout état de cause, ce sont surtout les catégories constituées par les acteurs qui ont un rôle déterminant pour Gérard Noiriel : qu'il s'agisse de la catégorie d'"étranger" constituée par l'État, ou de celle de seconde génération qui apparaît plus tard, elles contribuent à assigner une identité dont l'auteur postule qu'elle ne peut être que douloureusement vécue.

L'approche institutionnaliste : elle consiste à se pencher sur le cadre juridique qui définit le statut de l'immigré, ainsi que sur les politiques qui visent à favoriser son intégration. Les travaux de Jacqueline Costa-Lascoux (1989 et 1992) ou de Catherine Wihtol de Wenden (1987 et 1999), qui se penchent toutes deux sur les évolutions du Code de la nationalité, appartiennent à ce courant. Au travers de l'analyse de la citoyenneté telle qu'elle est conçue et traduite en termes juridiques en France, ces deux auteurs dégagent les caractéristiques de l'intégration à la française et réfléchissent aux défis posés par les dernières vagues migratoires. De même, Patrick Weil, dans La France et ses étrangers, émet cette idée tout à fait nouvelle qu'il existe une politique de l'immigration cohérente et adjoint à l'approche institutionnelle classique l'étude approfondie des décisions de politique publique quant au recrutement volontaire de main-d'œuvre étrangère, notamment dans l'immédiat après-guerre en fonction de l'origine ethnique. L’étude des politiques de logement spécifiques aux immigrés de type foyers SONACOTRA, ou l’analyse de la place accordée aux cultes et aux représentants des différentes communautés immigrées dans l'espace public, permettent aux tenants de cette approche d'esquisser la façon dont chaque nation accueille et intègre ses immigrés.

L'approche interactionniste : à la différence des approches précédentes, elle part des immigrés eux-mêmes, pour reconstituer leur expérience dans le pays d'accueil. Réseau de personnes de même origine, étapes du détachement de la communauté vers l'intégration et l'acculturation à la société d'arrivée forment alors les principales voies vers la compréhension d'une expérience migratoire. Abdelmalek Sayad, dans un article resté célèbre, “ Les trois âges de l'émigration algérienne en France ” (1977), montre comment le projet migratoire évolue. Alors que dans un premier temps le migrant est un envoyé de la communauté paysanne, qui ne part que le temps d'accumuler un petit pécule qui profitera à la totalité du village, et vit donc en France reclus et en se protégeant de la société d'accueil, des projets migratoires plus individuels se développent progressivement. Ils correspondent alors à une relation plus distanciée avec le pays d'origine, et à une acculturation progressive au pays d'installation. Dans d'autres de ses contributions, Abdelmalek Sayad s'attache à pointer, au travers de maints entretiens approfondis, la situation de l'immigré. Son malaise transparaît la plupart du temps et vient illustrer la difficulté à vivre une double appartenance identitaire. Martine Segalen, dans Nanterriens, les familles dans la ville (1990), adopte à son tour une démarche similaire en s'attachant aux circuits empruntés par plusieurs enquêtés. L'occupation spécifique de l'espace urbain révèle une sociabilité particulière. Les tenants de l'approche interactionniste s'attachent donc à montrer comment la confrontation quotidienne avec la société d'accueil transforme les immigrés en membres à part entière de la société d'installation.

Si l’étude approfondie de la littérature a pu révéler sur quel socle idéologique la sociologie des migrations a pu construire son modèle d’analyse, le travail de terrain qui s’en est suivi a débouché sur un impératif aussi bien logique que méthodologique : déconstruire la notion d’immigré, beaucoup trop connotée pour servir un raisonnement sociologique rigoureux. Cet abandon n’a pas été sans hésitation tant nous était chère l’idée de montrer que l’on pouvait être aisé et émigrer. L’exigence de clarté a pourtant triomphé et la migration s’en est trouvée décomposée selon deux axes de compréhension : l’éloignement géographique et la distance sociale.

Les deux enquêtes ont en effet révélé à quel point l’éloignement, le départ et l’arrivée dans une société inconnue, que l’on soit plus ou moins pourvu de ressources, se traduit par des réactions similaires ou en tout cas très proches. La distance sociale désigne, elle, la place assignée au nouveau venu dans la société d’installation.

Des conséquences de l’éloignement

L’éloignement dans la migration est souvent synonyme d’amélioration du bien-être immédiat ou à venir. La distance géographique, si elle exige une nouvelle socialisation, crée dans le même temps un nouveau rapport à la société d’origine. Le récit des origines conjugué à l’éloignement déploie alors une série de caractères communs aux riches, comme aux moins riches, aux managers d’Accenture, comme à l’ouvrier du bâtiment. Et c’est en cela que l’éloignement peut être une première clé de compréhension de l’expérience migratoire.

L’éloignement dote le migrant d’une nouvelle identité. Le discours des enquêtés porte d’innombrables marques de ce jeu d’identités situationnelles (Goffman) qui tisse le rapport du migrant aux différentes situations sociales rencontrées. Ainsi les Français de Casablanca sont-ils alsaciens ou auvergnats au Maroc, alors qu’ils seront plus volontiers Français du Maroc en France. Les Marocains en France réagissent exactement de la même manière, tout comme les Américains de Paris sont d’Atlanta, ou de New York, et fiers, qui plus est, d’annoncer leur lieu de résidence lorsqu’ils sont aux Etats-Unis. L’identité s’enrichit avec l’éloignement durable. Ce qui se transforme souvent d’ailleurs en autant de ressources sociales.

Cet épaississement est d’ailleurs tout particulièrement visible lors des retours au pays. Les travaux consacrés à l’observation de tels périples regorgent en effet d’indices similaires. Le trajet vers le pays d’origine lorsqu’il n’est pas fait en avion (ce qui écarte les Américains) prend des allures de voyage intérieur. Il est d’ailleurs surprenant de constater que les Français de Casablanca sont nombreux qui rentrent au moins une fois dans l’année en voiture. Les discours justificateurs ne manquent pas, déclinés selon tous les modes. On remarque toutefois souvent leur faiblesse, et surtout la jouissance du récit d’un périple vers cette société que l’on a quittée et qui se pare dans les premiers moments de toutes les qualités.

Il est en outre un autre retour, et celui-là définitif, qui revêt pour les migrants de toute appartenance sociale la même importance fascinante pour l’observateur. La mort participe en effet à la représentation et à la définition de soi, du soi en migration. Les pratiques mortuaires sont donc d’une grande importance. Elles cristallisent les tensions entre société de départ et société d’installation et situent définitivement le défunt dans un lieu géographique la plupart du temps délibérément choisi. La relecture du processus migratoire, que permet en partie le trajet du retour, est encore plus complète lors du décès et des rites qui l’accompagnent. Lors de ce dernier passage, les migrants de toutes catégories sociales se trouvent souvent égaux, les plus pauvres allant jusqu’à s’endetter dangereusement pour assurer le salut de leurs morts. Nombreux sont les travaux qui montrent l’importance capitale du lieu de sépulture, selon la situation du migrant vis-à-vis de sa famille, de la société d’installation, d’origine, de la croyance en la plus ou moins grande efficacité du rite de passage selon le lieu de déroulement et la qualité de la cérémonie. De ce point de vue-là, les Français de Casablanca sont très partagés et le choix d’une sépulture au Maroc revêt les mêmes enjeux en termes d’appartenance religieuse, pour ne citer que cette dimension, que le choix des Sénégalais en France, par exemple.

Il est enfin une autre conséquence de l’éloignement partagée par tous les migrants : la transformation du cultuel au culturel. Les Français de Casablanca fréquentent beaucoup plus l’église lorsqu’ils sont loin de leur pays. Les Américains semblent se comporter de la même façon. Tous sont plus attachés aux rites accompagnant les fêtes religieuses. Moments de retrouvailles pour les migrants d’une même origine, moments de remémoration, d’affirmation identitaire face aux rites de la société d’installation, ces rites se trouvent beaucoup plus investis que dans la société d’origine. Valable tout aussi bien pour les Marocains, ou les Irlandais en France, que pour tous les autres, cette charge culturelle dont se trouve réinvestie le cultuel est une caractéristique de l’éloignement.

Évoquer l’éloignement plutôt que la migration permet d’évacuer plus aisément la charge d’a priori qui pèse sur le terme de migration. Pour beaucoup d’oreilles, pourtant attentives, il n’est pas possible qu’un Français puisse émigrer et, par cette simple opération, devienne un immigré dans la société d’installation. Abandonnant délibérément ce terme bien dangereux tant il porte en lui d’amalgames et de généralisations abusives, nous avons donc choisi, d’une part de traiter de l’éloignement durable, d’autre part de nous pencher sur la distance sociale qui caractérise le plus souvent une partie des rapports entre le nouvel arrivant et la société d’installation.

Le rapport social

Comprendre la migration selon les deux axes de l’éloignement et du rapport social permet d’échapper à beaucoup d’implicites. Le rapport social n’est pas forcément défavorable à celui qui s’éloigne, comme le terme “immigré” et l’imaginaire qu’il charrie le laissent trop souvent entendre. À une époque où les managers qui s’expatrient sont de plus en plus nombreux (Wagner, 1998), il serait dommage de s’en tenir à une sociologie des migrations cantonnée aux apostrophes d’une actualité vieille de vingt ans. Les flux de migrants qui augmentent le plus significativement aujourd’hui sont constitués de diplômés hautement qualifiés. Leur situation dans le pays d’installation reprend les caractéristiques de l’éloignement, mais le rapport social au milieu d’installation varie fortement suivant le niveau de développement de la société ainsi que le milieu dans lequel ils s’installent. Aussi était-il nécessaire, voire urgent, de penser la possibilité de toutes les distances sociales entre nouvel arrivant et société d’installation, et non plus la seule et confortable (pour le chercheur) pour ne pas dire réconfortante (pour la société) indigence du migrant.

Les deux populations étudiées constituent en cela un déplacement de point de vue riche d’enseignements. Les Français à Casablanca, tout comme les Américains à Paris, se déplacent en effet avec leurs institutions. Ils arrivent dans une ville qui leur offre de multiples lieux d’accueil privilégiés, tenus par leurs semblables et pleinement dédiés à leur présence hors du territoire national. On ne compte plus en effet les cercles et autres clubs de toutes natures qui jalonnent la planète, de capitale en capitale, pour relayer efficacement les institutions nationales à l’étranger. Les pays les plus puissants en ont le tissu le plus dense. Leurs ressortissants trouvent ainsi, là où ils se rendent, un accueil organisé. À Paris, l’accueil des Américains se structure depuis près de cent cinquante ans autour de quelques institutions phares parmi lesquelles le Herald Tribune, l'Hôpital Américain ou l'American Church, ainsi qu’autour d’un grand nombre d’associations. À Casablanca, les Français sont accueillis par une association spécialisée avant d’organiser leur vie sociale autour de quelques lieux spécifiques. Les enfants sont très largement concernés par le scoutisme et les familles fréquentent quasiment toutes un seul et même club sportif hérité de la période du Protectorat, le Cercle Amical Français, réservé de facto, par un système de parrainage très strict, aux Français.

Français et Américains ont par ailleurs ceci en commun qu’ils ne fréquentent pas les institutions scolaires du pays d’installation. Le Lycée français à Casablanca, ainsi que les quelques écoles primaires de l’ex-mission culturelle française les regroupent, et on retrouve de la même façon une scolarisation autonome pour les enfants des Américains de Paris. En ne mêlant pas leurs enfants aux nationaux, ils conservent la mainmise sur leur éducation et leur socialisation, et un contrôle étroit que viennent relayer les activités sportives et les loisirs organisés par d’autres institutions exportées.

La sphère professionnelle permet aussi d’observer les signes d’une distance sociale clairement identifiée par les acteurs. Les Français de Casablanca, ou les Américains de Paris, occupent bien trop souvent des postes à responsabilité où ils mettent en pratique un rôle d’expertise pour pouvoir échapper à une position dominante. Même lorsqu'ils occupent des fonctions subalternes, les Français à Casablanca et les Américains à Paris s'octroient en permanence le droit de juger du mauvais fonctionnement des entreprises pour lesquelles ils travaillent. Il est par ailleurs intéressant de constater l’extrême similitude des discours tenus par Français et Américains sur, respectivement, les Marocains et les Français. Les mêmes accusations se retrouvent mot pour mot envers les différentes institutions du pays d’installation. Ainsi, l’école est-elle mal organisée, peu efficace et surtout peu sûre, l’administration lente et kafkaïenne, et les actifs incompétents et insouciants. Est-il vraiment utile de préciser enfin que les nationaux sont fainéants et ont une hygiène douteuse ?

Sociétés marocaine et française souffrent ainsi exactement des mêmes maux, à en croire les récits des enquêtés Français et Américains. Étrange coïncidence, ou rapport universel à l’Autre? L’extériorité critique est de mise pour la très grande majorité des personnes interrogées sur leurs conditions de vie, de travail etc. Cette extériorité témoigne d’une position sociale élevée, ou en tout cas perçue comme telle, par rapport à la société d’installation. Et c’est justement la préservation d’un tel statut qui passe par toutes ces institutions convoquées dans chaque pays. Que les Français de Casablanca scolarisent leurs enfants au Lycée Français, et les Américains à l’Ecole Américaine, qu’ils fréquentent beaucoup plus les lieux de culte ou de rencontres entre co-nationaux permet au groupe tout entier de maintenir son statut dans la société d’installation. À l’inverse les Marocains en France ne perdront rien de leur statut en scolarisant leurs enfants dans le système français, au contraire. Qu’ils se fréquentent entre eux et ils feront vite figure de mauvais élèves de l’intégration !

L’éloignement et la distance sociale égrènent donc un chapelet de situations migratoires. En permettant de franchir plus aisément les pièges du sens commun et de s’affranchir des apostrophes de l’actualité, ces deux axes de compréhension de l’expérience migratoire ouvrent la voix à une réflexion plus large. Elle isole les effets propres à l’éloignement durable, effets qui pour la plupart sont les mêmes quel que soit le statut social du migrant, de ceux générés par la distance sociale.

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