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Au tout début du Xe siècle, Ibn al-Faqīh1, rapporte la présence à Āmid d’une « merveille », à savoir l’existence d’une crevasse dans une montagne qui attire le fer, et le magnétise dirions-nous. Etonnement, cette tradition littéraire se transmet par la suite tant à l’orient qu’à l’Andalus, puisqu’al-Bakrī2 au XIe siècle la répète.
Dans le troisième quart du Xe siècle, Ibn Ḥawqal en laisse une description marquée par un intérêt pour la topographie, la muraille en pierres « meulières » noires et la mosquée. L’auteur précise que la ville à l’intérieur de ses murailles voit la présence de rivières et de champs. Précisons que le copiste d’un des manuscrits d’Ibn Ḥawqal se permet ici, comme ailleurs, d’apporter son propre témoignage daté de 534/1140, mais qu’il ne concerne cependant pas l’état physique de la ville.
Peu après, al-Muqaddasī3 compare Āmid à Antioche par ses fortificiations, bien que la première soit plus petite. Il distingue bien deux murailles séparées par un espace vide. La ville est construite en pierres noires, il dénombre et dénomme quatre grandes portes et une cinquième plus petite, fermée en temps de guerre.
Vers l’an mil, al-Muhallabī mentionne sa muraille et son abondance en eau, ce qui sera repris plus tard par Abū l-Fidā’. Al-Idrīsī en donne une courte description, vraisemblablement démarquée d’Ibn Ḥawqal. Qalqašandī ne sera pas plus original, recopiant à la fois Ibn Ḥawqal et Abū l-Fidā’.
Le voyageur persan Nāṣir-i Ḫusraw qui y passe en décembre 1046 nous en a laissé la plus longue description s’arrêtant sur les deux enceintes, les dimensions de la muraille principale, les tours, les quatre portes, la présence d’une source importante à l’intérieur de la ville ainsi que les moulins et les jardins qu’elle permet d’entretenir. Puis l’auteur décrit la grande mosquée et une église voisine.
En revange Ibn Ǧubayr et Ibn Baṭṭūṭa n’en disent rien, mais al-Harawī (m. 1215) précise l’existence de cinq mosquées et d’un mausolée de saint musulman, mais rien dans la topographie moderne ne semble permettre de les identifier.
Yāqūt, suivi par al-Qazwīnī, précise simplement la position de la localité et reprend la merveille rapportée par Ibn al-Faqīh.
Quant aux représentants de la géographie régionale, leur apport est contrasté. Ibn al-‘Ādim n’en dit rien dans son Buġyat al-ṭalab fī ta’rīḫ Ḥalab et Ibn Šaddād4 énumère les deux murailles, les soixante tours, les cinq portes, ainsi que la citadelle élevée par al-Malik al-Ṣāliḥ Maḥmūd ibn Nūr al-Dīn. Il dénombre deux sources d’eau courantes, mais en compte finalement trois, l’une à l’intérieur des murailles, l’autre à l’extérieure, près de la porte al-Rūm, appelée « source de Za‘ūrā et une dernière à proximité de la source « Bākilā », qui donne naissance à un cours d’eau qui traverse la localité (al-balad). Il indique aussi l’existence de deux madrasa, la « Tāǧiyya », due à Tāǧ al-Dīn et l’autre à proximité de la mosquée. Il signale également l’existence de deux couvents (bī‘a), le couvent de Marie (Bi‘at Maryam), près de la porte des Rūm, puis un autre qui était situé dans le voisinage du jardin al-Manāzī et qui datait de l’époque préislamique. Il fut déserté lors de la conquête musulmane mais finalement démoli à l’époque d’al-Malik al-Ṣāliḥ Maḥmūd et ses pierres en partie réutilisées, seuls subsistent à l’époque de l’auteur quelques vestiges témoignant de sa grandeur passée.
Si au début du XVIe siècle, la ville est l’enjeu de l’influence séfévide, après la bataille de Tchaldiran, elle reste définitivement dans le domaine ottoman et elle sera décrite par leurs voyageurs. Cependant, à la fin du XVIe siècle, le voyageur turc Âşık Mehmed5 recopie encore les descriptions d’Ibn Ḥawqal et d’al-Muhallabī.
En revanche, Evliya Çelebi y passe en 1655 et en laisse une description vivante qui touche sans doute plus à la vie sociale qu’à la topographie et aux édifices de la ville, qui connaît alors une prospérité certaine. Après une description générale, l’auteur s’attarde sur la citadelle passe ensuite en revue les bâtiments religieux et civils de la ville, énumrant les mosquées, les madrasas, les khans, les échopes, les fontaines, etc. Il s’agit plus cependant d’une énumération qu’une description topographique.

Āmid chez Ibn Šaddād6

 
traduction Jean-Charles Ducène
 
Āmid tire son nom d’Āmid ibn al-Balandī ibn Mālik ibn Ḏa‘ar car ce fut lui le premier qui jeta ses fondations (iḫtaṭṭahā), comme le rapporte al-Šarqī ibn al-Quṭāmī. Sa latitude est de 38° et sa longitude de 65°7. Son signe est le Verseau et son maître d’heure (rabb al-sa‘a) [planétaire] est Saturne. Elle se situe sur le Tigre et est ceinte de deux murailles, l’une est imposante tandis que l’autre est un avant-mur. Al-Malik al-Kāmil Nāṣir al-Dīn Muḥammad ibn al-Malik al-‘Ādil Sayf al-Dīn Abū Bakr ibn Ayyūb (r. 615/1218) l’a fait détruire quand il s’empara de la ville et en améliora la muraille principale8. Elle dispose de soixante tours et de cinq portes, qui sont « la porte de la colline » (bāb al-tall), « la porte de l’eau », « la porte de la joie » (bāb al-farḥ), « la porte des Rūm » et [enfin une dernière] porte9. Derrière la muraille, se trouve une citadelle érigée par al-Malik al-Ṣāliḥ Maḥmūd ibn Nūr al-Dīn sur une colline surplombant la source Sawrā. La muraille est construite en pierres noires inattaquables, sur lesquelles le fer n’a aucun effet, sur une largeur de cinq chevaux alignés.

            On raconte que lorsqu’Abū Mūsā ‘Īsā ibn al-Šayḫ s’appropria Āmid, al-Mu‘taḍid se porta à sa rencontre, en 285/898. Il l’assiégea dans la ville jusqu’à ce qu’il la prit de force. Lorsqu’elle fut en sa possession, il raccourcit sa muraille. Elle resta en l’état jusqu’au moment où passa un portefaix du nom d’Ibn Dimna et il portait sur son dos une gerbe de froment. Il le déposa pour prendre du repos et s’assit. Il jeta un œil sur la muraille et remarqua qu’elle était petite. « Que sa construction serait parfaite si elle n’était si peu haute ! » dit-il. « Par Dieu, si je deviens le souverain de cette ville, j’élèverais sa muraille d’une taille d’homme ! » Il subit les vicissitudes du sort, qui le fit passer comme il se doit de l’abaissement des gens de petite condition aux positions des maîtres. Mumahhid al-Dawla (r. 387/997-401/1011) arriva au pouvoir, il remit à Ibn Dimna les clefs (maqālid) de son pouvoir et il lui permit d’organiser son Etat. Et Ibn Dimna accomplit son vœu. Il augmenta en hauteur la muraille et il bâtit l’avant-mur. Cette élévation reste bien visible jusqu’au moment où ce livre est écrit, c’est-à-dire en 679/1280.

            A l’époque de Niẓām al-Dīn Abū l-Qāsim Naṣr ibn Naṣr al-Dawla ibn Marwān (r. 401/1011- 453/1061), on rénova de nombreux points de la muraille de la ville, et son nom y fut [inscrit] à l’extérieur et à l’intérieur. Le pont fut [aussi] édifié sur la rive, à l’est de la ville. [Lacune] sous le rocher [lacune] ce qui fait dix sources et plus. Et on tomba d’accord pour la rénovation de ce qui était dispersé des nombreuses exploitations agricoles.

            La ville dispose de deux sources d’eau vive, l’une est à l’intérieur et s’appelle Sawrā, on ignore quelle est son origine. Certaines personnes prétendent qu’elle sourd du mont Līsūn. L’autre, la source Za‘ūrā, est à l’extérieur de la muraille, près de la porte des Rūm.  Mumahhid al-Dawla ibn Marwān édifia au milieu de la ville une coupole. A une certaine distance d’elle, se situe la source Bākilā d’où coule un cours d’eau qui entre en ville et s’y diffuse dans des conduites (qasāṭil). La mosquée en reçoit une part qui se déverse dans un grand étang. La ville dispose de deux madrasas, l’une à l’est de la mosquée et connue sous le nom d’al-Tāǧiyya, dont l’édification revient à Tāǧ al-Dīn. La seconde est dans le voisinage de la mosquée, l’une de ses deux portes ouvre sur la rue et l’autre sur la mosquée justement. On compte deux couvents (bī‘atān). L’un est dans la direction de la porte des Rūm et est appelé le « Couvent de Marie ». Il est d’une construction ancienne et solide, de sorte que sa solidité est prise en exemple dans les dictons. Le second est dans les environs du jardin appelé al-Manāzī. La ville avait un immense couvent avant la conquête musulmane, et lorsqu’elle fut conquise par la force, ses habitants s’y réfugièrent, avec les musulmans à leur trousse. Ils ne trouvèrent qu’une seule femme, debout à la porte d’un caveau. Ils l’interrogèrent sur ceux qui étaient entrés dans le couvent, et elle les informa qu’ils avaient pénétré dans ce caveau, qui les avait conduit finalement dans le pays des Rūm.

            Le couvent fut démoli à l’époque d’al-Malik al-Ṣāliḥ Maḥmūd, et certaines de ses pierres servirent à l’entrepôt des étoffes (li-l-bazz), ses ruines indiquent sa grandeur passée.

Bibliographie

  • Abū l-Fidā’, Taqwīm al-buldān, Paris, 1840.
  • Al-Bakrī, Kitāb al-masālik wa-l-mamālik, Tūnis, 1992.
  • Bruinessen, Martin van et Boeschoten, Hendrik, Evliya Çelebi in Diyarbekir, Leiden, 1988.
  • Al-Harawī, Guide des lieux de pèlerinage, Sourdel-Thomine, J. (tr.), Damas, 1957.
  • Al-Ḥimyarī, Rawḍ al-mi‘ṭâr, Beyrouth, 1975.
  • Ibn al-Faqih, Muḫtaṣar kitāb al-buldān, Leiden, 1885.
  • Ibn Ḥawqal, Configuration de la terre, Kramers, J. H. et Wiet, G., (trs), Paris, 1964.
  • Ibn Šaddād, Al-a‘lāq al-ḫaṭīra, éd. ‘Abbāra, Y., Damas, 1978.
  • Le Strange, G., The Lands of the Eastern Caliphate, Cambridge, 1930.
  • Al-Muqaddasī, Aḥsan al-taqāsīm fī ma‘rifat al-aqālīm, Leiden, 1906,
  • Al-Muhallabī, Al-kitāb al-‘Azīzī aw al-masālik wa-l-mamālik, Damas, 2006.
  • Schefer, Ch., Relation du voyage de Nassiri Khosrau, Paris, 1881.
  • Yâqût, Mu‘jam al-buldân, Beyrouth, 1992.
 

1 Ibn al-Faqīh, Mukhtasar kitāb al-buldān, Leiden, 1885, p. 134.
2 Al-Bakrī, K. al-masālik wa-l-mamālik, Tunis, 1992, p. 229.
3 Al-Muqaddasī, Aḥsan al-taqāsīm fī ma‘rifat al-aqālīm, Leiden, 1906, p. 140.
4 Ibn Šaddād, Al-a‘lāq al-ḫaṭīra, éd. ‘Abbāra, Y., Damas, 1978, pp. 253-259. Voir la traduction de l'auteur ci-après
5 Aşık Mehmed, Menâzırü’lavâlim, Anakara, 2007, II, p. 759.
6 Ibn Šaddād, Al-a‘lāq al-ḫaṭīra, éd. ‘Abbāra, Y., Damas, 1978, pp. 253-259.
7 E.S et M. Kennedy, Geographical coordinates of localities from Islamic sources, Frankfurt am Main, 1987, pp. 22-23.
8 Nous traduisons par le sens global car le deuxième mot de l’expression arabe ǧa‘alahā maġallatan est énigmatique, la racine a notamment le sens agricole de « rendement », mais pas de signification technique particulière. Notons que c’est une correction de l’éditeur car le ms de base donnait b.ġ.l.h (?).
9 Al-Muqaddasī donnait les noms suivants : « la porte de l’eau », « la porte de la montagne », « la porte des Rūm », « la porte de la colline », « la porte de l’amabilité » (bāb al-uns), qui était une porterne que l’on empruntait en temps de guerre.