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Historique

Dès sa création, l'IFEA trouvait en l'Université d'Istanbul un partenaire solide et, auprès d'Halet Çambel et Kurt Bittel, pionniers de l'archéologie préhistorique turque, des alliés précieux. De ces premières rencontres dans les années trente naquirent des collaborations fructueuses entre le département de Préhistoire de l'Université d'Istanbul (fondé en 1950) et les recherches en préhistoire proche-orientale françaises. Dans la foulée des fouilles de Çayönü et dans l'effervescence archéologique que les projets de barrages sur l'Euphrate engendrèrent, Jacques Cauvin entreprit les fouilles de Çafer Höyük en 1979, avec l'appui du département de Préhistoire de l'Université d'Istanbul. Ces premiers liens tissés autour de la volonté de partager ce patrimoine et de développer les études en technologie lithique auprès des étudiants turcs furent suivies de partenariats croisés entre préhistoriens et géologues français et turcs, fondés sur l'analyse des gîtes d'obsidiennes anatoliens et de leur utilisation durant la préhistoire. À la suite des fouilles de Çafer Höyük, en collaboration étroite avec Nur Balkan-Atlı du département de Préhistoire de l'Université d'Istanbul, Marie-Claire Cauvin (MOM Lyon) puis Didier Binder (Cépam Nice) entreprirent une caractérisation systématique des sources d'obsidiennes turques. Ces travaux s'accompagnèrent de fouilles d'ateliers de taille de ces obsidiennes sur le Göllü Dağ (Cappadoce-région de Niğde), ateliers au cœur des processus de diffusion de l'obsidienne vers la Mésopotamie et la Méditerranée Orientale du PPNB au Chalcolithique. Le programme de recherche sur l'analyse techno-fonctionnelle des outils en obsidienne (ANR Obsidian Use Project) menée par Laurence Astruc (UMR 7041) en détachement à l'IFEA entre 2009 et 2013, ajoute un volet d'expertise tracéologique tant dans l'étude du matériel archéologique que dans la formation d'étudiants et jeunes chercheurs turcs.
Aujourd'hui, le Pôle Archéologie de l'IFEA s'implique dans le développement des approches technologiques en étendant son champ d'action aux études céramologiques.

Thème de Recherche: Traditions techniques et interactions culturelles dans le monde néolithique anatolien : les technologies céramiques.

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PROBLÉMATIQUE GÉNÉRALE ET CADRE CHRONOLOGIQUE
Le plateau anatolien a longtemps tenu une place mineure dans les modèles de diffusion du Néolithique. Notre objectif, en débutant une collaboration fructueuse avec le département de Préhistoire de l'Université d'Istanbul, était de réexaminer le rôle du Néolithique centro-anatolien dans ce processus. Nous disposions pour cela de nouvelles séquences stratigraphiques et, notamment, celle de Tepecik-Çiftlik en Cappadoce, dont les fouilles débutèrent en 2000.
Ce travail se fonde sur l'analyse des chaînes opératoires céramiques, selon une méthode d'analyse originale, intégrant l'état de l'art tel que défini par V. Roux et M.A. Courty (2005), qui nous permet de dépasser le stade de l'identification des développements typologiques et d'appréhender les traditions techniques des différentes cultures étudiées.
Ainsi, il nous est donc possible de mettre en évidence des processus d'interaction encore peu définis entre les sphères culturelles mésopotamiennes, anatoliennes et les aires méditerranéennes et égéennes. Ces processus peuvent être précisés grâce à l'étude de nouveaux assemblages céramiques.
C'est ce que nous proposons de faire dans le cadre de ce programme de recherche, avec la poursuite de la fouille des niveaux Néolithiques du site de Tepecik-Çiftlik, et l'étude de collections "cibles" et de comparaisons prévues à différents points des voies de diffusion du Néolithique, en collaboration avec les chercheurs en charge des programmes en Haute Mésopotamie, en Cilicie, en Anatolie Centrale et en Anatolie de l'Ouest. L'analyse se fonde sur une approche méthodologique renouvelée qui prend en compte notamment les modes de préparation des pâtes céramiques, le façonnage, les techniques d'engobage et les traitements de surface, autant de procédés dont la valeur en tant que marqueur culturel mérite d'être évaluée.
Les résultats obtenus sur des séries céramiques clés seront, à terme, utilisés pour évaluer la pertinence des modèles diffusionnistes à propos des phénomènes d'emprunt et d'expansion des traditions techniques.
Ces méthodes d'analyses, rarement développées dans l'étude des corpus céramiques proche-orientaux, répondent également à une attente du milieu universitaire turc, enclin à rechercher dans des partenariats les moyens de former des étudiants à ces nouvelles approches. Ainsi, nous veillerons à développer ce programme de recherche en répondant à ces attentes afin de pérenniser la spécificité des rapports entre l'IFEA et les acteurs locaux de la recherche en archéologie, en favorisant des collaborations dans le domaine de la céramologie articulées autour de thématiques diachronique, de la Préhistoire à l'époque byzantine

{tab=Néolithisation}

NÉOLITHISATION ET PRATIQUES CÉRAMIQUES : EXEMPLES DE PROBLÉMATIQUES
Aborder les chaînes opératoires, c'est avant tout se pencher sur un système technique, déjà défini par M. Mauss (1936) comme étant une imbrication entre le domaine technique et le domaine social auxquels nous ajoutons le domaine environnemental.

1. Pâtes céramiques et sphères d'interaction

L'analyse des pâtes céramiques est l'élément clé pour comprendre quelles ont été les conditions d'apparition de la céramique en Anatolie Centrale. La préparation des pâtes céramiques à l'aide de dégraissant végétal est, en effet, bien documentée au sein des corpus les plus anciens (entre 7000 et 6500 BC cal.). Ce constat permet d'établir des liens avec la tradition technique de Haute Mésopotamie (Le Mière & Picon, 1999 ; Nishiaki & Le Mière, 2006).
Or, la situation semble se modifier après 6500 BC cal., où nous notons une dichotomie entre les sites de Cappadoce qui s'inscrivent en continuité avec cette tradition et les sites de la plaine de Konya où nous constatons un passage rapide du dégraissant végétal au dégraissant minéral.
Ces premiers éléments doivent maintenant être précisés en travaillant sur :

  • La répartition exacte du dégraissant végétal en Anatolie :

Les analyses réalisées sur le matériel du Tell Nord de Qarassa en Syrie du Sud montrent déjà que cette tradition technique s'étend vers la sphère levantine (Braemer et ali. 2009; Godon et ali. in print) avec, entre autres critères techniques comme les engobes rouges, les techniques de décors « impresso » ainsi que les outils de râpage dérivés des « husking tray » mésopotamiens (Kılıçbeyli 2004).
Le programme de fouilles auquel nous collaborons avec l'Université d'Istanbul sur le site de Tepecik-Çiftlik en Cappadoce nous permet de fouiller des contextes archéologiques témoignant de l'apparition de la céramique en Anatolie Centrale, vers 7000 BC cal. Totalement inédit, ce témoignage offre la possibilité de saisir la nature des liens entre les sites Haute Mésopotamie et le plateau anatolien.

  • Les raisons d'un abandon du dégraissant végétal en plaine de Konya :

Alors que vers 6500 BC cal. une homogénéisation des traits culturels est identifiable sur l'ensemble de l'Anatolie Centrale, les traditions techniques céramiques changent sensiblement à Çatal Höyük en plaine de Konya (Last 2005). Suivant l'expansion du Néolithique vers l'ouest anatolien et l'intensification des contacts avec la Mésopotamie, il est probable que des retours technologiques vers la plaine de Konya apparaissent au sein de réseaux d'échanges nés de ces nouvelles sphères d'interactions.

  • La complexité des sphères d'interaction en Anatolie de l'ouest :

Les sphères culturelles de l'ouest anatolien sont particulièrement imbriquées (Özdoğan 2007, 2013). Elles sont issues de processus d'acculturation sous l'influence multiple de communautés épipaléolithiques et néolithiques centro-anatoliennes, méditerranéennes puis égéennes. Au-delà de la typologie, seule l'approche des traditions techniques peut permettre de comprendre la nature de ces interactions. En examinant les modalités de préparation des pâtes céramiques, il faudra définir si les processus d'expansion du Néolithique vers l'ouest s'accompagnent de transferts techniques impliquant des contacts étroits entre les communautés humaines.

2. Techniques d'engobage, cuisson et marqueurs chrono-culturels
L'apparition des poteries à engobes rouges en Mésopotamie et en Anatolie coïncide exactement avec la phase d'expansion du Néolithique vers l'ouest anatolien à partir de 6400 BC cal. suivant un schéma de diffusion ancré en Haute Mésopotamie qui gagne l'Anatolie Centrale et la région des Lacs puis le littoral égéen, suivi d'une diffusion plus tardive vers la région de Marmara et la Thrace (ca. 6000 BC cal.).
Que représente l'engobage d'un point de vue technique ? Il ne nécessite pas d'apprentissage particulier mais il en va autrement du contrôle de l'atmosphère de cuisson, indispensable à une oxydation homogène des oxydes de fer. Il s'agit là de la dernière phase de la chaîne opératoire qui devra être documentée à l'aide d'expérimentations.
Les engobes rouges peuvent-ils être considérés comme un marqueur techno-culturel ?
Aborder cette question permettra de définir plus précisément les processus de formation des communautés néolithiques en Thrace ainsi que les phénomènes d'interaction culturelle dans la région de Marmara à partir de 6000 BC cal.

3. Méthodes de Montage
Trop rarement étudiées, les méthodes de montage sont pourtant au cœur de la chaîne opératoire et sont, probablement, le plus directement liées aux savoir-faire techniques et à l'apprentissage. Elles sont donc à même de refléter au plus près les traditions techniques et leurs variabilités régionales et culturelles. Si les formes, volumes et décors peuvent évoluer et diffuser rapidement, l'évolution des méthodes de montage des poteries reste soumise à l'inertie de l'apprentissage et des traditions techniques. Un des objectifs des ateliers et séminaires de technologie céramique est justement d'impliquer et de former les étudiants et jeunes chercheurs à cette approche de l'analyse des céramiques archéologiques.

4. Traitements de surface et spécialisation artisanale

Le brunissage est présent aux environs de 6700 BC cal. en Anatolie Centrale, mais il faut attendre 5700-5500 BC cal. pour qu'il devienne, grâce à un investissement technique important, un décor à part entière : les stigmates techniques deviennent invisibles à l'œil nu, et le lustre s'accroît. Ce traitement de surface est à cette époque très largement associé à des cuissons réductrices totales permettant d'obtenir des poteries de teinte noire homogène.

Or, l'obtention d'une atmosphère de cuisson à haute teneur en dioxyde de carbone accompagnée d'une réduction des oxydes ferriques nécessite un contrôle très précis de la cuisson en phase de refroidissement (Gosselain 2002). Ce contrôle ne s'obtient que grâce à des systèmes de foyers fermés permettant d'atteindre une plus haute température de cuisson et son corollaire, un effacement du lustre issu du brunissage par réagencement en surface des domaines argileux.
Mieux définir cette chaîne opératoire et le niveau de savoir-faire qui lui est associé nous permettra de percevoir la variabilité des états de surface obtenus sur les poteries archéologiques, et de mieux appréhender la nature des sphères d'interactions culturelles après 5700 BC cal., en Anatolie et en Thrace, à une période où une généralisation très rapide de ces poteries noires lustrées est identifiée.

{tab=Bibliographie}

  • BRAEMER (F.), et ali., 2009.- Atlas archéologique des sites pré et proto-historiques de Syrie du Sud. Rapport préliminaire des missions de fouilles à Qarassa, campagne 2009.
  • GODON (M.), BALDI (J.S.), GHANEM (Gh.), IBANEZ (JJ.), BRAEMER (F.), In print.- Qarassa North Tell, Southern Syria: The Pottery Neolithic and Chalcolithic Sequence. Few Lights in a Dark Background, Paléorient (accepted manucript).
  • GOSSELAIN (O.P), 2002.- Poteries du Cameroun méridional. Styles techniques et rapports à l'identité. Paris : CNRS Éditions, Monographie du CRA, n°26.
  • KILIÇBEYLİ (B.), 2004.- Mezraa-Teleilat Kazısı verilerine göre Hassuna Kültürü içinde « Husking Tray » Türü Kapların Değerlendirilmesi. Yüksek Lisans Tezi, Istanbul : Istanbul Üniversitesi (Thèse de Master, non publiée).
  • LE MIÈRE (M.), PICON (M.), 1999.- Les débuts de la céramique au Proche-Orient. In : Paléorient 24/2, Paris: Éditions du CNRS, pp.5-26.
  • MAUSS (M.), 1991 [1936].- Les techniques du corps, In: M. Mauss (dir.), Sociologie et anthropologie, Paris : Presses Universitaires de France, pp. 363-386.
  • NISHIAKI (Y.), Le MIÈRE (M.), 2006.- The oldest pottery neolithic of Upper Mesopotamia: new evidence from Tell Seker al-Aheimar, the Khabur, Northeast Syria. In : Paléorient 31/2, pp. 55-68.
  • ÖZDOĞAN (M.), 2007.- Marmara Bölgesi Neolitik cağ Kültürleri. In : M. Özdoğan, N. Başgelen, Türkiye'de Neolitik Dönem, Istanbul : Arkeoloji ve Sanat Yayınları, pp. 401-426.
  • ÖZDOĞAN (M.), 2013.- Marmara Region, In : M. Özdoğan, N. Başgelen, P. Kuniholm, The Neolithic in Turkey, vol. 5, Istanbul: Archaeology & Art Publications, pp.167-269.
  • ROUX (V.) & COURTY (M.A.), 2005.- Identifying social entities at a macro-regional level : Chalcolithic ceramics of South Levant as a case study. In D. Bosquet, A. Livingstone-Smith and R. Martineau (eds.), Pottery Manufacturing Processes : Reconstruction and Interpretation. Actes du XIVème Congrès de l'UISPP. B.A.R. International Series, Oxford, Archaeopress, p. 201-214.