Mobilité Turquie-France

La Fondation Maison des sciences de l’homme, en partenariat avec l'FEA, propose des aides à la mobilité pour des séjours en France de 2 à 3 mois aux chercheur.e.s postdoctorant.e.s turc.que.s ayant soutenu leur thèse en SHS à partir de 2016.

Bibliothèque

La bibliothèque et l'atelier de cartographie sont ouvert sur rendez-vous

Les 24 et 25 novembre 2015 auront lieu les Rencontres d’Archéologie de l’IFEA. Le thème en sera les approches technologiques en archéologie.

 Par approches technologiques, nous entendons l’étude des « chaînes opératoires » liées  à la réalisation d’un objet. Nous profitons de cet évènement pour débuter une série de billets, notes ou parenthèses bibliographiques, en nous plongeant dans les ouvrages disponibles sur ce sujet dans la bibliothèque de l’IFEA. Comme la notion de chaîne opératoire est le fruit d’une longue histoire des sciences de l’homme, (anthropologie et préhistoire) et recoupe bien des domaines : technologie, cognitifs, environnementaux ou encore économiques, avançons par étapes au gré des rayons.  Soulignons que le Pôle Archéologie de l’IFEA développe ses activités autour des approches liées à la relation entre Techniques et Cultures, répondant ainsi à une attente  de la communauté archéologique en Turquie. L’acquisition d’ouvrages de référence en ces domaines sera donc commentée périodiquement sur nos pages internet.  

Pour le grand public, cette notion de chaîne opératoire peut sembler abstraite, voire rébarbative. Pourtant, c’est elle qui s’applique directement à nos sociétés de production. Elle régit l’économie réelle, fondée sur l’industrie, elle est au cœur des problématiques de l’écologie et du développement durable tant évoqués en ces temps incertains où nos écosystèmes évoluent sans que nous en contrôlions la course. 

Son utilisation dans le cadre archéologique est un legs de l’anthropologie française, notamment de Marcel Mauss (1872-1950) qui, au travers de ses travaux sur « les techniques du corps », décrivit  l’influence du contexte culturel sur les processus d’apprentissage, le développement des savoir-faire (Mauss 1935 ; 1947). André Leroi-Gourhan portera ce regard d’anthropologue sur la Préhistoire en proposant  d’étudier le matériel archéologique non plus comme un artefact fini mais comme un témoignage technique et culturel. À l’opposé du déterminisme technique ou environnemental naguère dominant, André Leroi-Gourhan amena la communauté scientifique à se pencher sur la relation entre les techniques et les savoir-faire, l’acquisition de ces savoir-faire dépendant d’un processus cognitif profondément ancré dans la sphère culturelle et social (Leroi-Gourhan 1971, 1973).  Malgré l’engouement pour l’ethnoarchéologie, devenant une discipline à part entière dès les années quatre-vingts, l’étude de la relation entre la technique et la culture reste toujours minoritaire, ancrée dans une tradition francophone n’ayant pas complétement basculé dans le déterminisme climatique tant invoqué de nos jours pour expliquer l’Histoire.

La bibliothèque de l’IFEA, riche d’une longue histoire de recherches archéologiques, abrite en ses rayons quelques témoignages des prémices ayant conduit les études matérielles vers l’analyse des chaines opératoires. Loin des figures patriarcales telles celles d’Henry Breuil (1877-1961), de Marcellin Boulle (1861-1942) ou de Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), quelques ouvrages dans notre catalogue n’en soulignent pas moins le caractère iconoclaste et anticonformiste animant le préhistorien. Rappelons que ce n’est qu’en 1996, sous le pontificat de Jean-Paul II, que le Vatican reconnaitra que la Préhistoire et le principe d’évolution sont plus qu’une simple hypothèse, position finalement innovante si l’on considère l’emprise du Créationnisme dans les débats de sociétés aux Etats Unis. 

En 1936, André Cheynier, médecin notable de Terrasson (Dordogne), préhistorien et futur président de la Société Préhistorique Française, rend un vibrant hommage au Sieur de Jouannet (François René Bénit VATAR-1765-1855), fils d’imprimeurs rennais, rédacteur du « Journal des Hommes libres de tous les pays» qu’il fonda en 1792 avec son cousin René Vatar. Libertaires et subversifs, les cousins n’en connurent pas moins des destins forts différents. Les pamphlets à l’encontre du « citoyen premier consul » Bonaparte vaudront à René VATAR d’être déporté à Cayenne, loin des fraiches dorures de l’Empire. Il s’y illustra à bord d’un navire corsaire, harcelant la marine britannique le long de ces côtes boueuses de la Guyane, drainées par les fleuves Maroni et Oyapok, au nord du delta de l’Amazone. Un boulet anglais lui arracha une jambe en 1806, ce qui ne l’empêcha pas de faire fructifier son négoce maritime jusqu’à sa mort en 1835.  Pour ne pas connaitre le destin de son cousin, François René Bénit VATAR en vint à effacer le Vatar de son patronyme en le remplaçant par Jouannet, titre hérité des hauts faits familiaux en tant qu’imprimeurs royaux en Bretagne, durant les deux siècles précédents la révolution Française. Quittant Paris pour Bordeaux, puis Périgueux, il parcourt les campagnes, ses pérégrinations l’amenant à se pencher sur les époques «remontant à la nuit des temps»  (Cheynier, 1936, p.37). Il rédige les Annuaires du Départements de Dordogne et de Gironde et, accessoirement, devient membre de l’Académie de Bordeaux en 1818.   Passons sur ses découvertes majeures que sont les sites de l’Ecorne-Bœuf, la grotte de la Combe ou le Pey de l’Azé mais écoutons-le plutôt évoquer trois principes fondateurs de l’archéologie moderne.

1-      La notion de patrimoine et de sa préservation : « nous nous bornerons à désirer que le résultat des recherches […] inspire aux habitants de ce département un peu moins d’indifférence sur les antiquités de leur pays.» (Jouannet, 1814.- Calendrier de la Dordogne : du Périgord sous les Gaulois, cité dans Cheynier 1936, pp. 37).

2-      La notion, encore floue, de temps Préhistoriques : «A quelle époque, dans quel but tout cela s’est-il fait ? Pauvres hommes ! Nous connaissons les comètes et nous échouons à un mauvais trou, au Pey de l’Azé ! » (Calendrier de la Dordogne, 1817, p. 204 ; cité par Cheynier, 1936).

3-      La notion de chaine opératoire, au sujet de bifaces et de haches polies : « J’ai pu juger de la manière dont on s’y prit pour les tailler ». s’ensuit un vocabulaire descriptif fondé sur les techniques, encore d’actualité : pointe mousse, bords latéraux, percussion, arêtes, convexité… (Calendrier de la Dordogne, 1819, suite de la statistique, pp. 3-12 ; cité par Cheynier, 1936). 

Bien que le cousin VATAR écuma les mers de Georgetown à Cayenne, illustrant un XIX siècle affirmant l’emprise des empires européens sur l’Orient, l’Asie, l’Afrique et les Amériques, la Préhistoire s’écrivait donc en Europe principalement sur ces terres de Dordogne et du Périgord riches des témoignages que conservent  ses réseaux karstiques, grottes, puits et abris sous-roches.

Un autre ouvrage attire donc notre attention, celui qu’écrivit  Jacques de Morgan (1857-1924) sur « la Préhistoire Oriental ». Archéologue, directeur du Département des Antiquités en Egypte à la fin du XIX siècle, et fin connaisseur de la Mésopotamie et de la Perse où il est nommé délégué général du ministère de l'Instruction publique en 1897, il critique d’une part le nombrilisme européen en matière de Préhistoire, dénonçant l’assimilation  des industries proche-orientales à celles d’Europe, voire à une « chronologie relative française appliquée à l’Univers entier ». Il saisit d’autre part l’ampleur du fossé séparant les « Etudes Classiques » de la Préhistoire, cette dernière étant « la risée des classiques »  même si, note-t-il, « les croyances religieuses en dépendent et, par suite, tout le système philosophique et moral sur lequel est basée notre civilisation » (avant-propos, page V). Force est de constater que cette césure entre Préhistoire et Histoire Classique est encore d’actualité, en France notamment, réminiscence d’un passé jacobin s’étant accaparé l’Histoire pour l’organiser en de grands corps d’enseignements et de recherches royaux puis républicains. Des cinq académies, regroupées sous la bannière de l’Institut de France en 1795, aucune ne représente la Préhistoire, cette dernière se faisant une petite place dans l’Académie des Sciences ou se glissant au sein de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, situation cocasse à la lecture de Jacques de Morgan qui considérait la Préhistoire comme « une civilisation sans écriture » (avant-propos, p. V). Si cette vision d’une Préhistoire hors de la chronologie peut sembler désuète dans le récit par trop linéaire que nous appliquons aux sociétés humaines, les travaux de Jacques de Morgan n’en soulignent pas moins l’importance de l’ethnographie dans l’étude des sociétés préhistoriques. Il met en garde le préhistorien quant au danger d’une classification culturelle uniquement fondée sur l’outil de pierre, le « non périssable », au dépend d’une analyse culturelle : « pour décréter qu’un changement d’industrie s’est produit à la suite d’une migration, il faut autre chose que l’apparition de quelques formes nouvelles dans l’outillage, il faut un ensemble de conceptions encore inédites, une nouvelle orientation […] (p. 314, tome 1).   

Jacques de Morgan, dans les trois tomes consacrés à la Préhistoire orientale, offre au lecteur de 1925 comme d’aujourd’hui, une description méticuleuse des environnements, de la géologie ; une analyse précise des industries lithiques, la reconnaissance d’ateliers de taille (tome II) et des matières premières utilisées, identifiant déjà les problématiques interculturelles liées à la diffusion des obsidiennes d’Arménie vers la Syrie et la Mésopotamie (tome III). Outre cette multidisciplinarité qui illustre la recherche préhistorique, Jacques de Morgan avait un talent de dessinateur et ses planches lithiques sont de vibrants hommages aux travaux des préhistoriens-artistes extrayant de la pierre l’observation technique pour la figer en des dessins du plus bel esthétisme.

A venir : Historique livresque des études lithiques.

Bibliographie et ouvrages choisis dans nos rayons :

  • LEROI-GOURHAN (A.), 1943.- Evolution et Techniques (vol. 1 : L'Homme et la Matière; vol. II : Milieu et Techniques), Paris : Albin Michel.
  • Marcel Mauss, 1935.- Les Techniques du corps,  Journal de Psychologie, vol. xxxii, n° 3-4, 15 mars-15 avril 1935, d’après une conférence prononcée par Marcel Mauss, le 17 mai 1934 devant la Société de Psychologie.
  • Mauss, 1947.- Manuel d’ethnographie. Paris : Payot
  • Marcel Mauss (Türkçe Çeviri) : Sosyoloji ve Antropoloji ; 2011 Doğu Batı Yayınları
  • Sur le web : Marcel Mauss Essai sur le don, (1923-1924) collection électronique PDF développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi https://www.google.com.tr/search?q=marcel+mauss+essai+sur+le+don&ie=utf-8&oe=utf-8&gws_rd=cr&ei=fGMbVrCWFofAgwTRspiQCw
  •  Marcel Mauss (1934), Les techniques du corps. collection électronique PDF développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi. http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/6_Techniques_corps/Techniques_corps.html
  •  Cheynier André, 1936.- Jouannet, Grand-père de la Préhistoire. Société Historique et Archéologique du Périgord. Brive : Chastrusse, Praudel et Cie.(ref. IFEA : Préh 5).
  • De Morgan Jacques, 1925.- La Préhistoire Orientale. 3 tomes, Paris : Librairie Orientaliste Paul Geuthner.(ref. IFEA: HA Or Gén 1/I-II-III).
  • PréTech (Préhistoire et Technologie) : Inizan M-L., Reduron Ballinger M., Roche H., & Tixier J., 1995.- Technologie de la pierre taillée, Préhistoire de la pierre taillée tome 4, Meudon : CREP.
  • À noter l’ouvrage de référence suivant, disponible en PDF sur le site internet de l’UMR 7055, http://www.mae.u-paris10.fr/prehistoire/IMG/pdf/Technologie_de_la_pierre_taillee.
  •  Espérons que la version anglaise suivra la même voie de l’édition électronique.
  • Puisque nous débutons cette série de notes sur les approches en technologie par des références en accès libre sur internet, je vous indique le site de la Revue de l’association européenne d’archéologie des techniques : The ArkeoTek Journal qui, depuis 2011 est adossé au laboratoire « Préhistoire & Technologie » :   http://www.thearkeotekjournal.org/