Mobilité Turquie-France

La Fondation Maison des sciences de l’homme, en partenariat avec l'FEA, propose des aides à la mobilité pour des séjours en France de 2 à 3 mois aux chercheur.e.s postdoctorant.e.s turc.que.s ayant soutenu leur thèse en SHS à partir de 2016.

Bibliothèque

La bibliothèque et l'atelier de cartographie sont ouvert sur rendez-vous

Organisateurs : Philippe Bournaud, Jean-François Pérouse, Cem Özatalay, Marie Vogel

Programme d’ensemble

La gouvernementalité est une notion paquebot ;  nous souhaitons interroger la pertinence de son usage pour analyser les transformations politiques  contemporaines en Turquie à  partir de présentation de résultats de recherche.

Deux lignes complémentaires sont retenues pour sérier les sujets sur cette thématique large : nous nous intéresserons ainsi plus directement à ce qui peut relever d’une criminalisation du quotidien et complémentairement à ce qui relève d’une résidualisation (euphémisation) des risques aujourd’hui (fragmentation de la bio-politique ?). Quels nouveaux agencements des savoirs/techniques/pouvoirs soutiennent ces processus ?

 

Format : un intervenant (présentation 45mn/1h) et un discutant (10mn) par séance.

Le premier jeudi de chaque mois. 18:00 – 20:00. Alternativement à GSÜ et à  l’IFEA.

Argument

À travers ce séminaire interdisciplinaire, nous proposons de discuter de recherches actuelles portant sur les transformations contemporaines de l’Etat et de la conduite de la société en Turquie et ailleurs en d’interrogeant la notion de gouvernementalité (Foucault, 1978) et ses usages possibles - sans oublier cependant les catégories classiques des sciences sociales.

Le concept, qui fait désormais partie de la grammaire de l’action publique et plus largement de celle des sciences sociales, a correspondu à un déplacement des analyses du pouvoir disciplinaire vers ses formes pratiques, multiples et leurs articulations avec les productions des savoirs.  En s’attachant aux dispositifs concrets de l’exercice du pouvoir et aux formes de rationalités qui l’organisent, cette perspective (la gouvernementalité comme forme spécifique de pouvoir)  a conduit à porter une attention fine aux instruments et technologies du pouvoir et aux programmes de construction des sujets qui l’accompagnent (Lascoumes, 2004).

La notion –polysémique, de gouvernementalité, s’entend  également comme ligne de force de longue durée des sociétés occidentales (prééminence d’un type de pouvoir sur tous les autres) et comme un résultat. Selon cette ligne de lecture, le processus de rationalisation et de technicisation dans la gestion se confondait largement avec le mouvement  d’étatisation de la société.  Les mutations de la gouvernementalité définissent alors les lices de l’Etat contemporain.  Congruentes avec les formes éclatées ou néo-libérales de l’action publique d’aujourd’hui, elles laissent ouvertes les questions de la légitimité du pouvoir ordonnateur d’Etat et de son articulation avec les autres formes de pouvoir dans la société.

Comment aujourd’hui, le déploiement des technologies du pouvoir, le réagencement des pouvoirs et des légitimités dans les cadres nationaux reconfigurent des gouvernementalités spécifiques ou nouvelles ?  La  Turquie nous semble être un des laboratoires de nouvelles gouvernementalités, même s’il faut se défier de la nouveauté ou de l’originalité apparentes.

Ainsi nous nous demanderons si  les formes de gouvernementalité actuelles diffèrent significativement de techniques de production d’ordre social éprouvées précédemment (aux époques ottomane ou républicaine).  Une lecture rapide de l’histoire des formes de gouvernementalité caractériserait le néo-libéralisme par les prolongements non seulement privés, mais informels de l’action publique, se substituant aux administrations. La Turquie fournit pourtant un modèle ancien d’association entre les institutions politiques, des groupes sociaux et des acteurs informels au service d’initiatives économiques ou du maintien de l’ordre social.

Nos explorerons également les reconfigurations de la légitimité démocratique au service de l’exécutif par le truchement de la notion de souveraineté d’une part, et le fonctionnement actuellement imprévisible des institutions d’autre part, qui marqueraient « l’illibéralisme » du pouvoir. Quelles sont, sinon les institutions et les méthodes, du moins les régularités de pratique et les effets de pouvoir à travers lesquelles se manifestent de nouvelles formes de gouvernementalité ? En quoi celles-ci présentent-elles un caractère de nouveauté caractéristique du néo-libéralisme et de l’ère des démocraties post- ou illibérales ? Sur quels principes méthodologiques fonder leur étude ?

Notre hypothèse est que les nouvelles gouvernementalités ou dispositif de sécurité émergents se distinguent par leur caractère « systématiquement non systématique » – discrétionnaire, donc, combiné avec des rationalités techniques diverses et par leur recherche de formes de légitimation pérennes.

Nous en avons retenu deux formes pour cette année : la criminalisation du quotidien et la « résidualisation » des risques (définition des risques faibles).

Thème 1 : Criminalisation du quotidien

Dans de très nombreux pays, les discours des autorités politiques centrales, comme diverses techniques policières et sécuritaires informelles tendent à une reconceptualisation de la criminalité, au prisme de la dangerosité. Le retour du paradigme de la dangerosité s’inscrit aujourd’hui dans des paysages institutionnels variables (monopole étatique de la violence légitime plus ou moins assuré,  plus ou moins grande présence du secteur privé ; autonomie professionnelle plus ou moins marquée par rapport à l’autorité politique centrale, etc.). Les populations cibles (« populations à risque »)  sont elles aussi redéfinies avec un périmètre plus ou moins extensif – et des critères mobiles.

Nous nous intéresserons aux recherches portant sur les discours, formes  et techniques de la criminalisation du quotidien, s’attachant à l’étude des dispositifs et acteurs qui les portent ou en sont l’objet. Nous nous intéresserons aux analyses portant sur les effets que ces discours et dispositifs ont sur le citoyen ordinaire, comment ils sont reçus et réappropriés par les membres des différents groupes sociaux et produisent de nouvelles disciplines.

Thème 2 : « Résidualisation » des risques (définition et cadrage des risques faibles)

Le recours à l’invocation des risques faibles porte en lui une nouvelle forme de gouvernementalité, lui aussi, en ce qu’il exempte les pouvoirs de l’exigence d’universalité de l’action publique et subvertit l’idée de hiérarchie des priorités dans un sens exclusif. Il en résulte, selon la nature des risques, et selon le sentiment que le risque est évitable ou non, tout un spectre d’attitudes publiques, allant de l’indifférence à l’obsession. La notion de risque faible porte en elle licence de traiter un problème comme résiduel. Si la priorisation des risques majeurs constitue l’un des principes de la “politique des grands nombres” (A. Desrosières) qui s’est progressivement mise en place face à l’impératif pour les gouvernements d’adopter une approche populationnelle de leurs missions, la « résidualisation » réintroduit une latitude discrétionnaire dans l’appréciation des priorités. Le contenu du risque faible devient très hétérogène, tant dans son emploi, que dans le type d’action publique qu’il suscite, ou ne suscite pas.

Nous nous intéresserons aux recherches pourtant sur l’oblitération, ou l’euphémisation des risques sociaux ou dans l’action publique (de la santé, aux risques sismiques,  environnementaux ou terroristes).