Mobilité Turquie-France

La Fondation Maison des sciences de l’homme, en partenariat avec l'FEA, propose des aides à la mobilité pour des séjours en France de 2 à 3 mois aux chercheur.e.s postdoctorant.e.s turc.que.s ayant soutenu leur thèse en SHS à partir de 2016.

Bibliothèque

La bibliothèque et l'atelier de cartographie sont ouvert sur rendez-vous

Coordinateurs du projet : Philippe BOURMAUD (IFEA / Université Lyon 3 / IFPO), Aylin de Tapia (EHESS / Université du Bosphore / IFEA / Université Koç)

Périodicité : 1 à 2 séances / mois

{tab=Présentation}

 

À la recherche d'une généalogie ottomane des savoirs

Des Balkans à l'Afrique du nord, quelle empreinte l'Empire ottoman a-t-il laissé dans l'ordre des savoirs ? Poser la question, c'est d'emblée souligner la diversité géographique des espaces ottomans et sous-entendre le poids du cloisonnement étatique après le morcellement de l'Empire. C'est aussi poser les territoires ottomans comme espaces de réception et surtout de production de savoirs. Les savoirs de tous ordres, produits, réappropriés et transmis, circulent pour être partagés et pour former des communautés autour de la connaissance.

Nous envisageons les savoirs ottomans de manière à éviter deux écueils principaux. Le premier est de ne s'occuper que de savoirs reconnus par une élite savante. Une telle approche conduirait à mettre l'accent sur les centres de production scientifique, et tout d'abord les capitales. Le séminaire s'appuie sur une conception non normative des savoirs, au-delà des sciences structurées en disciplines et en dispositifs formels de transmission. L'Empire ottoman est-il caractérisé par la concentration des lieux de savoir, par une communauté de savoirs distribuée à travers l'Empire, ou par une différenciation, voire un cloisonnement linguistique et géographique ?

Une science ottomane commune ?

Le deuxième écueil serait de considérer l'Empire ottoman comme une unité épistémologique autonome. Il a hérité de savoirs d'origines diverses et n'a cessé de s'en approprier de nouveaux, venant de tous les horizons. La circulation des savoirs invite à dépasser la fixation, fréquente dans l'historiographie, sur l'avant et l'après des réformes du dix-neuvième siècle et sur l'occidentalisation à partir du Tanzimat. Nous nous intéresserons donc aux échanges culturels et scientifiques avec des voisinages et des ailleurs multiples et pas seulement européens. Nous mettrons également l'accent sur la dimension endogène des savoirs, produits dans l'Empire se diffusant à travers l'Empire.  La circulation des savoirs engendre-t-elle un ou plusieurs mondes ottomans de la connaissance ? Comment se communiquaient les savoirs à travers l'étendue de l'Empire ? Est-ce que le démantèlement de l'Empire a mis fin à une épistémé commune ?

La circulation des savoirs pose des questions sur l'organisation technologique de l'Empire ottoman. Le monde ottoman constitue-t-il un espace propice à la circulation des savoirs tout comme, grâce au réseau des han qui jalonnent le territoire, il peut l'être pour la circulation des marchandises ? D'un côté, il existe des instances scientifiques normatives – pour les savoirs « nobles », les sciences religieuses, la médecine ou l'astronomie. D'un autre côté, les communautés de normes et de savoirs ne sont pas réellement centralisées avant le dix-neuvième siècle. Il y a  un paradoxe apparent : la culture écrite ottomane d'expression turco-arabo-persane semble un outil efficace d'uniformisation des connaissances (mais avec quelles différences sociales, et quelles poches régionales?). En revanche, l'accélération de la diffusion des idées et des informations qui accompagne la généralisation de l'imprimerie démocratise la diffusion des savoirs dans des langues diverses et favorise l'éclosion de nationalismes scientifiques. Si des langues communautaires deviennent les vecteurs de la production de savoir, est-ce pour autant que cela entrave l'intercompréhension entre gens de savoirs dans le cadre politique commun de l'Empire ? Est-ce alors un facteur précoce de cloisonnement en communautés scientifiques distinctes ? Ou bien  les nationalismes scientifiques se manifestent-ils par un dialogue empreint de rivalités, certes, mais plus actif que les échanges entre les communautés scientifiques séparées qui se forment dans les Etats issus du morcellement de l'Empire ottoman ?

L'idée d'un monde ottoman commun de la connaissance a une portée politique. La promotion de la recherche scientifique et l'organisation de la transmission des savoirs peuvent être des « outils d'Empire », pour promouvoir activement une intégration culturelle par l'uniformisation des apprentissages et des compétences scientifiques et techniques. Une telle perspective imprègne-t-elle l'action de l'Etat ottoman ? Si oui, cela s'explique-t-il par la bureaucratisation de l'Empire, par les mouvements nationaux et leurs efforts pour développer une culture savante, ou bien encore par la perspective de la colonisation européenne ?

{tab=Objets d'enquête}

Pistes de recherches : épistémologies, acteurs, politiques

De ces idées, découlent plusieurs objets d'enquête :

  • Les contenus de savoir. D'où viennent-ils ? Dans quel cadre sont-ils produits ou appropriés dans le monde ottoman ?
  • Les acteurs, les réseaux scientifiques et leurs connexions dans les institutions de pouvoir. Les savoirs n'existent pas dans l'absolu, mais ils sont organisés ar le fait que certains acteurs, producteurs ou diffuseurs, sont reconnus comme savants. Qui est « savant » dans l'Empire ottoman, pour qui et sur quelle base ? Un des modes d'accès à la reconnaissance des savants est S'agit-il de réseaux liés aux institutions de formation ? Quelle place religieux et savants laïcs occupent-ils dans ces réseaux ? Observe-t-on la formation de nébuleuses distinctes et opposées, laïques et religieuses, d'hommes de pouvoir et de science, ou bien une coexistence et des communautés d'intérêts ?
  • Les épistémologies dominantes. Quelles sont leurs références philosophiques et leurs concepts principaux ? Existent-ils des traditions épistémologiques alternatives ? Avec les réformes, observe-t-on une pluralisation des épistémologies qui ordonnent les savoirs ?
  • Les hiérarchies des savoirs. Parmi les oulémas, prévaut l'idée que certains domaines de savoir ont une valeur particulière du point de vue de la tradition : non seulement les sciences islamiques, mais aussi la médecine et l'astronomie. Comment fonctionnent les disciplines, les frontières et les hiérarchies disciplinaires ? Corrélative de ces interrogations, quelles sont les conditions d'émergence de figures de spécialistes et d'experts dans la région ?
  • Savoirs, techniques, éthique et politique. Quel rôle jouent les considérations religieuses dans les débats scientifiques et leurs réverbérations politiques ? Y a-t-il des phénomènes de censure ou d'orientation de la production scientifique par le religieux ou le politique ? Si oui, les considérations religieuses interviennent-elles dans leur justification et leur mise en œuvre ? Les débats religieux et politiques du temps inspirent-ils les savants ?
  • L'occidentalisation des savoirs et des épistémologies. A travers la période des réformes, l'adoption de références épistémologiques européennes hégémoniques s'opère, néanmoins : quelles trajectoires philosophiques conduisent à cette inclusion ?
  • La langue  des savoirs. En quelle langue s'opère-t-elle ? Le Tanzimat, avec la fondation d'écoles d'enseignement supérieur qui souvent utilisent la langue française avant d'être turquifiées, et la Nahdah, dans les provinces arabes, illustrent la pluralité des processus de reformulation des savoirs reconnus. Cette dynamique mérite d'être élargie, car elle semble partagée entre les langues de l'Empire, notamment le grec et l'arménien. La question de la langue des savoirs n'est pas qu'affaire d'accès linguistique à la connaissance et de traduction, mais aussi de conceptualisation, d'harmonisation des terminologies et de formalisation des savoirs dans les nouvelles langues scientifiques. Quels sont les supports et les acteurs de ces transformations ? Quels sont les enjeux des choix linguistiques qui s'opèrent ?
  • Les politiques scientifiques et les priorités de recherche. Y a-t-il des politiques scientifiques discernables ? Sous quelles conditions et à travers quelles institutions l'Etat peut-il coopter, voire piloter les recherches ?
  • La diffusion des savoirs. Comment s'opère-t-elle avant la mise en place d'institutions de formation spécialisées ? Par quels moyens ? Les savoirs sont-ils alors uniformisés, canoniques à travers l'Empire, ou au contraire observe-t-on des différences significatives, y compris dans leur reconnaissance juridique (médecine légale, normes d'exercice) ?

{tab=Séminaire}

Séances du séminaire Sciences et savoir dans l'Empire ottoman

{tab=Bibliographie}

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