Elif KESER-KAYAALP, Mcf. Dr.
Université d'Artuklu, Mardin, Turquie
Depuis l’Antiquité tardive, la région de Mardin et en particulier le Tur Abdin qui s’étend de Mardin à l’ouest à Cizre à l’est, est identifiée comme syriaque. Jusqu’au début du XXe siècle, la communauté syriaque de la région était d’une relative importance démographique mais à la suite d’intenses migrations et mouvements de populations, aujourd’hui seul 450 familles syriaques vivent encore dans la région. Malgré cette diminution démographique non négligeable, le Tur Abdin possède toujours un important patrimoine architectural syriaque. Les spécialistes, grâces aux vestiges et aux sources antiques, ont pu compter près de 70 monastères dont 7 sont aujurd’hui toujours en activité. De même, on trouve quelques 200 églises construites ou creusées dans la roche, certaines en ruines, dans près de 60 villages de la région. Une partie de ces monuments date de l’Antiquité tardive tandis que d’autres ont été construits ou reconstruits au cours des deux premiers siècles de l’Islam. Le XIIe siècle et la seconde moitié du XIXe siècles sont aussi des périodes de constructions et de réparations intenses pour les monuments syriaques. Jusqu’au début du XXe siècle, la majorité de ces lieux de culte était encore en activité bien que, comme en témoigne les photographies de Gertrude Bell, une grande partie était déjà ruinée. Les églises en activité faisaient naturellement l’objet de réparations plus régulières mais c’est autour des années 2000 qu’une augmentation remarquable des activités de restauration a eu lieu. En particulier ces 5 dernières années, d’importants efforts de réparation et de restauration sur près de 50 monuments ont vu le jour. Ainsi de nombreux monastères et églises se sont vus ajouter clochers et autres nouveaux édifices.
Cette présentation n’a pas pour but de juger du bien fondé de ces interventions de restauration ou de (re)construction. En reprenant les théories de Laurajane Smith sur les usages du patrimoine, il est possible de mettre en valeur le rôle joué par les édifices syriaques du Tur Abdin comme médiateurs entre le passé et le présent dans un processus socio-culturel de mémorialisation plus large. En proposant une étude des acteurs et des raisons des évolutions et transformations qu’a connues le patrimoine culturel syriaque au cours de 10 dernières années, nous allons montrer comment ce patrimoine est perçu par différents groupes. Inscrite en 2001 sur la liste des candidats au Patrimoine Mondial de l’UNESCO avant d’annuler sa candidature, la région de Mardin propose aujourd’hui une nouvelle image commerciale et culturelle mettant l’accent sur les biens culturels immatériels que sont par exemple la multiculturalité et le multilinguisme. Nous proposerons donc, pour conclure, de débattre de la place du patrimoine syriaque dans cette nouvelle politique culturelle.